Les travailleuse·eur·s à domicile

Weaving is a major part of the work done by home-based workers in Laos. Credit: Marty Chen

Les travailleuse·eur·s à domicile et la COVID-19

ACTUALITÉS : Les travailleuse·eur·s à domicile et leurs alliés ont lancé un réseau mondial en février 2021, dont vous pouvez savoir plus ici. HomeNet International (HNI) rassemble les voix des organisations de base provenant d’Afrique, d’Amérique latine, d’Asie du Sud et d’Asie du Sud-Est.


Invisibles et pourtant indispensables pour les chaînes d'approvisionnement de la production

Les travailleuse·eur·s à domicile produisent des biens ou des services depuis leur maison ou à proximité, pour les marchés locaux, nationaux ou mondiaux. Il y en a qui travaillent dans la nouvelle économie (en assemblant des composants micro-électroniques ou en fournissant des services informatiques, par exemple), d’autres dans l’économie traditionnelle (dans des secteurs tels que le textile, le vêtement et le tissage).

Le travail à domicile représente une part significative de l’emploi total dans certains pays, surtout en Asie, où se trouvent deux tiers des 260 millions de travailleuse·eur·s à domicile de la planète. À l’échelle mondiale, les femmes en constituent 57 %, c’est-à-dire 147 millions de femmes qui se voient obligées de jongler avec leurs activités génératrices de revenu, la garde d’enfants et les responsabilités domestiques.

Dans toutes les branches d'activité, le travail à domicile est un phénomène mondial qui prend de l’ampleur tant dans des pays riches que dans des pays démunis. Et pourtant, alors que cette immense population occupée est indispensable pour de nombreuses chaînes d’approvisionnement, ces travailleuse·eur·s demeurent souvent invisibles.

Les deux types de travailleuse·eur·s à domicile

  • Les travailleuse·eur·s à domicile indépendant·e·s endossent tous les risques qu’implique travailler à son compte, en s’approvisionnant elles·eux-mêmes en matières premières, équipements et fournitures et en supportant le coût des services publics et des transports. D’habitude, ces travailleuse·eur·s offrent leurs marchandises et leurs services localement, mais les vendent parfois sur les marchés internationaux. La plupart n’embauchent personne, mais peuvent quelquefois compter sur l’aide non rémunérée d’un membre de la famille.
  • Les travailleuse·eur·s à domicile sous-traité·e·s (que l’on appelle aussi non-salarié·e·s dépendant·e·s à domicile ou externalisé·e·s de l’industrie) sont engagé·e·s par des entrepreneuse·eur·s particulier·ère·s, des usines ou des entreprises recourant souvent à un·e intermédiaire. Les entreprises externalisent la production à ce type de travailleuse·eur·s afin de réduire des coûts et d’optimiser leurs bénéfices. Les nouveaux apports de la technologie ont également facilité cette externalisation (Chen, Sebstad et O'Connell 1999 ; Raju 2013). Les travailleuse·eur·s à domicile sous-traité·e·s ne sont pas forcément au courant de l’entreprise qui les embauche ou de l’endroit où seront vendus leurs produits. D’habitude rémunéré·e·s à la pièce, ces travailleuse·eur·s ne participent pas à la vente des produits finis et, même si les matières premières leur sont fournies, doivent encore faire face à de nombreux coûts associés à la production, tels que le lieu de travail, l’équipement, l’électricité, les fournitures.

Parmi les défis communs, se trouvent des commandes irrégulières ou annulées, des marchandises refoulées, des retards de paiement et un approvisionnement peu fiable de matières premières (surtout dans le cas des sous-traité·e·s), ainsi que le caractère fluctuant de la demande et la hausse du prix des inputs (notamment chez les indépendant·e·s). Du fait que les foyers font doublement office de lieux de travail, les deux groupes sont confrontés à des défis tels que la taille exigüe du logement, la qualité médiocre de la construction, l’insécurité de l’occupation foncière et l’absence de services d’infrastructure essentielle, d’où résulte une tendance chez les deux groupes à percevoir de faibles revenus. Pour en savoir plus, cette page web est consacrée au domicile en tant que lieu de travail.

Svetla Atanasova Ilieva is a self-employed home-based worker in Pleven, Bulgaria. Credit: Svetlin-Ivanov
Svetla Atanasova Ilieva est une travailleuse à domicile indépendante à Pleven, en Bulgarie. Crédit photo : Svetlin-Ivanov

Secteurs d’activité

Historiquement, le travail à domicile recouvre des activités à forte intensité de main-d’œuvre dans la fabrication de vêtements, de textiles et de chaussures, ainsi que dans des activités artisanales et des métiers qualifiés. D’autres activités traditionnellement liées au travail à domicile consistent à faire du pain et de la pâtisserie, à cuisiner des plats préparés, à réaliser le brassage de la bière, ainsi que d’autres activités mécaniques et de réparation. Beaucoup de productrice·eur·s à domicile travaillent aussi en tant que vendeuse·eur·s de rue ou de marché afin d’y faire le commerce de leurs marchandises.

De nos jours, le travail à domicile est également présent dans des industries modernes de pointe, dont la fabrication de pièces détachées d’automobile et d’avion, l’assemblage électronique ou l’emballage de produits pharmaceutiques. Dans les pays développés, en particulier, le travail de bureau et des emplois nécessitant plus de compétences en matière de technologies de l’information, télécommunications, télémarketing et conseil technique peuvent aussi être exercés à domicile.

Même si les travailleuse·eur·s à domicile sont employé·e·s dans beaucoup de secteurs industriels, la plupart travaillent dans les services et les ventes ou dans l’artisanat et les travaux manuels qualifiés, surtout dans des pays en développement et émergents (Bonnet, Carré, Chen et Vanek 2021).

Contributions

L’Étude de suivi de l’économie informelle (IEMS) de WIEGO offre une perspective critique à propos des travailleuse·eur·s à domicile habitant Ahmedabad (Inde), Bangkok (Thaïlande) et Lahore (Pakistan). L’étude a constaté que les travailleuse·eur·s à domicile contribuent de façon significative à leur foyer, à la société et à l’économie.

  • Leur participation au budget du ménage aide à préserver leur famille de la pauvreté extrême.
  • Le travail à la maison leur permet de prendre soin des enfants et des personnes âgées et de préserver la qualité de la vie familiale.
  • Ces travailleuse·eur·s comptent beaucoup pour la cohésion sociale de leurs communautés.
  • N’ayant pas à faire la navette, ces travailleuse·eur·s ont souvent recours au vélo, à la marche et aux transports en commun, réduisant ainsi les émissions et les embouteillages.
  • Les travailleuse·eur·s à domicile indépendant·e·s offrent des biens et des services à bas prix au public.
  • Ce sont des agents économiques qui, pour acheter des fournitures, des matières premières et de l’équipement, partent de chez elles·eux et paient les frais de transport et les services d’infrastructure de base.
  • Sur leurs achats (matières premières, fournitures, équipements), ces travailleuse·eur·s s’acquittent des taxes.
  • Les entreprises en amont dans la chaîne facturent souvent des taxes de vente sur les produits finis, ce qui contribue aux recettes de l’administration.
  • Il existe de nombreux liens entre les entreprises de l’économie formelle et les travailleuse·eur·s à domicile de l’informel : beaucoup s’y approvisionnent en fourniture, y vendent leurs produits ou même alimentent la production des sociétés dans l’économie formelle.

Aperçu statistique

Calculées sur la base de données ILOSTAT provenant de plus de 100 pays pour la période 2000-2019, ces estimations globales mettent en lumière des progrès récents dans la génération de données officielles sur les travailleuse·eur·s à domicile (lisez ci-dessous à propos des problèmes liés au comptage de cette population occupée invisible). Cette collecte de données est cruciale pour accroître la visibilité de cette force de travail massive et pourtant invisible.

À l’échelle mondiale, 260 millions de femmes et d’hommes produisent des biens ou fournissent des services depuis leur maison ou à proximité :

  • 224 millions (86 %) habitent des pays en développement et émergents
  • 35 millions (14 %) vivent dans des pays développés

Des données aux niveaux municipal, national, régional et mondial

WIEGO élabore une série de notes d’information statistique qui mettent à disposition différentes données sur les travailleuse·eur·s à domicile : leur nombre, leurs arrangements de travail et d’autres caractéristiques. Une de ces notes, basée sur des données de l’OIT concernant plus de 100 pays, en fournit des statistiques aux niveaux des sous-régions, des régions et du monde entier. Un ensemble de notes d’information statistique concernant quatre pays d’Asie du Sud présente d’ailleurs des données détaillées sur ces travailleuse·eur·s aux niveaux rural, urbain et national. De plus, une série de notes relatives à l’ensemble de travailleuse·eur·s de l’informel dans plusieurs pays comporte également des données sur les personnes travaillant à domicile aux niveaux municipal, urbain et national.

Près de deux tiers (65 %) des travailleuse·eur·s à domicile dans le monde –soit un total de 168 millions– vivent en Asie et dans le Pacifique.

En Thaïlande, près de 10 % de la population occupée –soit quelque 3,7 millions de personnes– travaillait à domicile en 2017, dont plus de 70 % dans l’économie informelle. Il s’agit de femmes pour la plupart (Poonsab, Vanek et Carré 2019).

Au Bangladesh, les 10,6 millions de travailleuse·eur·s à domicile (Enquête sur les forces de travail, 2016-2017) représentaient 17 % de l’emploi total (Koolwal et Vanek 2020).

En Inde, on estimait à 49,2 millions le nombre de travailleuse·eur·s à domicile en 2011-2012. En 2017-2018, ce nombre s’est situé à 41,9 millions. Cela veut dire que le pourcentage par rapport à l’emploi total est passé de 10,5 % à 9,1 % (Raveendran 2020).

Au Pakistan, le nombre de travailleuse·eur·s à domicile est passé de 3,6 millions en 2013-2014 à 4,4 millions en 2017-2018, mais la part de l’emploi total que représentent ces travailleuse·eur·s restait inchangée autour de 7 %. Le nombre de femmes travailleuses à domicile a augmenté, alors que celui des hommes a diminué (Akhtar 2020).

Plus de 14 % des travailleuse·eur·s à domicile dans le monde vivent en Afrique subsaharienne : 38,3 millions au total

Au Ghana, il y a près de 1,4 million de travailleuse·eur·s à domicile, dont plus d’un million sont des femmes à leurs années de rémunération maximale. Pratiquement la totalité travaille dans l’informel, la vaste majorité à leur compte et sans employé·e·s (Baah-Boateng et Vanek 2020).

Graphique : Répartition mondiale des travailleuse·eur·s à domicile en fonction de la région géographique habitée et du niveau des revenus de leur pays

ILO calculations based on labour force survey (or similar household survey) data from 118 countries representing 86% of global employment.
Source : estimations du BIT sur la base des données de l’Enquête sur les forces de travail (ou d’enquêtes similaires auprès des ménages) provenant de 118 pays représentant 86 % de l’emploi mondial. Voir la Note d’information statistique de WIEGO nº 27 (2021).

Problèmes dans le comptage de cette population occupée invisible

Plusieurs défis restent à relever afin de recueillir des données fiables. Certains pays ne posent pas de question sur le « lieu de travail » dans l’enquête sur les forces de travail ni dans les recensements de la population. La question est pourtant essentielle afin de déterminer qui est un·e travailleuse·eur à domicile. Et puis, généralement, les recenseuse·eur·s ne sont pas formé·e·s pour dénombrer les travailleuse·eur·s à domicile, d’où résulte un groupe répertorié comme ne faisant que des travaux ménagers (non rémunérés). De plus, il est possible que les travailleuse·eur·s à domicile ne se perçoivent ni se déclarent comme étant « employé·e·s ».

Dans sa recommandation de 2018, la 20e Conférence internationale des statisticiens du travail a introduit une nouvelle catégorie dans la Classification internationale du statut dans l'emploi : les non-salarié·e·s dépendant·e·s. Il s’agit d’une étape importante dans l’amélioration des données sur les travailleuse·eur·s à domicile, surtout les sous-traité·e·s. Pour en savoir plus sur cette notion et son importance, consultez cette foire aux questions pour mieux comprendre le terme statistique « non-salarié·e dépendant·e ».

Le Programme de statistiques de WIEGO établit des directives afin de faire des estimations sur les travailleuse·eur·s à domicile et d’autres groupes de travailleuse·eur·s de l’informel. Dans le but de dresser un tableau statistique complet, il faut rassembler des renseignements sur le lieu de travail, le statut dans l’emploi, le type de contrat et le mode de paiement (Vanek, Chen et Raveendran 2012).

Pays développés

Dans les pays développés, le travail à domicile est parfois défini différemment, faisant référence aux personnes en télétravail (« travail à distance ») dans leur domicile pour tout ou partie de leur temps de travail ; il recouvre également les personnes qui exercent une activité chez elles. Dans des pays à revenu élevé, il est plus courant d’inclure dans cette catégorie tout·e professionnel·le indépendant·e, free-lance, employé·e ou travailleuse·eur des plateformes numériques pourvu que le travail soit réalisé au domicile. Rappelons que les restrictions liées à la COVID-19 ont entraîné une augmentation spectaculaire du travail à la maison. Pour certain·e·s, le télétravail (ou « travail à distance ») fait partie des avantages liés à l’emploi, offrant plus de flexibilité. Pour d’autres, cependant, le travail à domicile peut être associé à la précarité, à des conditions d’emploi de qualité inférieure ou à un arrangement d’emploi différent (par exemple, le travail indépendant à son propre compte).

La prédominance du travail à domicile est vraisemblablement appelée à s'intensifier. En 2020, à cause de la pandémie de la COVID-19, un nombre important de la population occupée dans le monde a commencé à travailler à la maison, rejoignant ainsi les travailleuse·eur·s déjà en télétravail dans les pays développés –35,4 millions en 2019. Comme l’énonce l’OIT : « travailler à distance va sans aucun doute gagner en importance à l'avenir » (Working from home: From invisibility to decent work, OIT 2021, p. 16).

A home-based worker wearing a mask in adherence to COVID-19 protocols in Ahmedabad, India. Photo courtesy of SEWA
Un·e travailleuse·eur à domicile portant un masque conformément aux protocoles sanitaires contre la COVID-19 à Ahmedabad, en Inde. Photo fournie par SEWA

Moteurs et conditions de travail

De faibles revenus et de longues heures de travail

Plusieurs facteurs, notamment des besoins financiers, poussent une personne à travailler à domicile. Les revenus des travailleuse·eur·s à domicile jouent un rôle crucial lorsqu’il s’agit de subvenir aux besoins élémentaires de la famille.

Néanmoins, les travailleuse·eur·s à domicile gagnent en moyenne très peu –surtout les sous-traité·e·s, car rémunéré·e·s à la pièce et obligé·e·s de passer par des entrepreneuse·eur·s ou des intermédiaires pour avoir accès aux commandes et aux paiements. Un tableau avec les tarifs à la pièce correspondant à différents types de travail à domicile sous-traité est disponible dans l’étude IEMS.

Une note d’information statistique de WIEGO qui porte sur les personnes travaillant à domicile dans le monde a révélé que celles dans les pays plus démunis travaillaient généralement plus longtemps que les personnes habitant un pays développé. De fait, alors que seulement 15 % des femmes et 28 % des hommes dans les pays développés travaillent 49 heures ou plus par semaine, ces pourcentages atteignent un niveau plus élevé dans les pays en développement –31 % chez les femmes et 44 % chez les hommes– et ils sont encore plus importants dans les pays émergents : 32 % pour les femmes et 54 % pour les hommes (Bonnet, Carre, Vanek et Chen 2021). (Remarque importante : les données n’englobaient que le travail rémunérateur alors que, dans la plupart des cas, les femmes se voient également chargées de la garde d’enfants et des responsabilités domestiques.)

Dans l’échantillon de l’IEMS, beaucoup de travailleuse·eur·s à domicile se plaignaient de courbatures et de douleurs corporelles à cause des longues heures de travail.

L’impact de la pandémie mondiale et de la crise économique

La crise de la COVID-19 a touché de plein fouet beaucoup de travailleuse·eur·s à domicile dans des activités traditionnelles, en les dépouillant de revenus pendant des mois. Une étude menée par WIEGO dans onze villes à travers le monde a révélé que la plupart des travailleuse·eur·s à domicile étaient les moins à même de travailler lorsque les restrictions et les mesures d’isolement sociale obligatoire ont atteint leur plus fort niveau, en avril 2020. À la mi-2020, la plupart mettaient encore plus de temps pour sortir de la crise par rapport à d’autres catégories dans l’échantillon –les travailleuses domestiques, les vendeuse·eur·s de rue, les commerçant·e·s de marché et les récupératrice·eur·s de matériaux. Pour en savoir plus sur les travailleuse·eur·s à domicile pendant la COVID-19, consultez ce lien ou le Document de travail de WIEGO nº 42 : « COVID-19 and Informal Work: Distinct Pathways of Impact and Recovery in 11 Cities Around the World » [La COVID-19 et l’emploi informel : des voies distinctes de l’impact et de la reprise dans 11 villes du monde entier].

La COVID-19 n’a pas été la première crise subie de plein fouet par les travailleuse·eur·s à domicile. La crise économique mondiale qui a éclaté en 2008, elle aussi, leur a rendu la tâche –gagner leur vie– plus difficile. En 2009 et 2010, les travailleuse·eur·s à domicile produisant pour les chaînes d’approvisionnement mondiales ont vu leurs commandes chuter fortement. Les indépendant·e·s ont dû faire face à une concurrence accrue, et beaucoup ont baissé leurs prix afin de rester compétitif·ve·s. La multiplication des chaînes de vente au détail a aussi créé une concurrence de poids pour les entreprises locales. Consultez ce texte à propos des liens entre l'économie informelle et les crises économiques.

Les travailleuse·eur·s à domicile dans les chaînes d’approvisionnement mondiales

De nombreuses entreprises multinationales dont le siège se trouve dans le Nord externalisent la production à des usines et à des travailleuse·eur·s à domicile dispersés partout dans le monde, mais les liens entre ces travailleuse·eur·s et l’entreprise mère passent en général par des fournisseuse·eur·s et leurs sous-traitant·e·s et demeurent donc embrouillés. De ce fait, la négociation des tarifs ou le paiement des travaux terminés peuvent s’avérer difficiles. Ceci en offre une illustration :

Lorsqu’une organisatrice syndicale au Canada a essayé d’aider une immigrée chinoise travaillant dans la confection de vêtements afin de récupérer des salaires impayés, elle a constaté que la travailleuse ignorait pour qui elle faisait le travail... l’homme qui fournissait des matières premières et récupérait les vêtements finis conduisait une camionnette banale. Lorsque cette travailleuse a fini par trouver une étiquette de la marque parmi ses matières premières, la militante syndicale a réussi à retracer l’origine de la société de vente au détail située au Canada à une entreprise de fabrication située, elle, à Hong Kong jusqu’à un intermédiaire, lui, au Canada : dans ce cas, la chaîne d’approvisionnement mondiale débutait et s'achevait dans ce dernier pays.

Lorsqu’elles ont demandé à l’intermédiaire local de restituer les salaires impayés à cette travailleuse à domicile sous-traitée dans l’industrie du vêtement, il a répondu : « Mettez-moi en prison, je ne peux pas payer. Ça fait des mois que le fabricant de Hong Kong qui m’a externalisé la production ne m’a pas payé.

Source : Stéphanie Tang de UNITE, communication personnelle

Les problèmes liés au foyer comme lieu de travail

Pour les travailleuse·eur·s à domicile, leurs foyers font doublement office de lieux de travail, mais les mauvaises conditions de logement sont déjà un défi majeur : on ne peut pas accepter de commandes en vrac s’il n’y a aucun espace de stockage, le travail est souvent interrompu par les besoins concurrents qu’implique le travail ménager... Beaucoup de travailleuse·eur·s à domicile s’occupent d’autres besoins ménagers pendant la journée et travaillent de longues heures pendant la nuit, entraînant l’épuisement, des maux de dos et la fatigue des yeux.

Certains travaux à domicile génèrent de la poussière ou impliquent l’utilisation de produits chimiques dangereux. Mais souvent il n’y a pas de séparation entre l’espace de travail et l’espace de vie, ce qui peut mettre à risque tant les travailleuse·eur·s à domicile que d’autres membres de la famille, notamment les enfants.

De plus, de mauvaises conditions de logement finissent par abîmer les marchandises et les matières premières. Les pluies de mousson obligent les travailleuse·eur·s à interrompre ou à réduire la production, et ce, pour plusieurs raisons :

  • L’équipement, les matières premières et les produits finis sont abîmés à cause des infiltrations d’eau ou des inondations des maisons.
  • Quelques produits (comme les bâtons d’encens et le plastique) ne peuvent pas être séchés à cause des fuites et de l’humidité.
  • Pendant les pluies, les commandes baissent parce que la demande diminue ou parce qu’il y a plus de difficultés associées au transport.

Pour en savoir plus, cette page web est consacrée au domicile en tant que lieu de travail.

Des déficits en termes de capitaux, technologies et infrastructures

La plupart des travailleuse·eur·s à domicile fournissent non seulement leur propre lieu de travail, mais aussi l’équipement et l’électricité utilisés. Ces coûts d’exploitation, auxquels s’ajoutent des salaires irréguliers et bas, signifient que la plupart des travailleuse·eur·s à domicile ne sont pas en mesure de faire des économies ni d’investir dans une technologie plus avancée, d’avoir des fonds de roulement ou de suivre des formations.

Les déficits en termes d’infrastructures de base, tels que la pénurie d’électricité, entravent davantage la productivité ; les frais des services publics, pour leur part, font fondre les revenus disponibles. Puisque les travailleuse·eur·s à domicile doivent se rendre aux marchés pour récupérer des matières premières et pour y déposer des produits finis, beaucoup doivent marcher de longues distances ou compter sur les transports publics ou d’autres moyens de transport, tels que les rickshaws [véhicules utilisés en Asie pour le transport], les frais de transport réduisant leurs revenus encore plus. Tous ces facteurs minent leur productivité.

Les travailleuse·eur·s à domicile et le Droit

L’environnement juridique et réglementaire concernant les travailleuse·eur·s à domicile demeure incertain. Dans la plupart des pays, les indépendant·e·s n’ont pas encore reçu le statut d’opératrice·eur·s indépendant·e·s et les sous-traité·e·s, de leur côté, ne sont pas considéré·e·s comme des travailleuse·eur·s dépendant·e·s. La page de WIEGO portant sur les travailleuse·eur·s de l'industrie du vêtement offre plus de détails à ce propos.


Politiques et programmes

La problématique urbaine

Puisque les foyers font doublement office de lieux de travail, le domicile constitue un actif économique. Cependant, les logements s’avèrent trop souvent inadéquats : trop exigus, sans espace de stockage et prédisposés aux fuites ou aux inondations. Les dispositifs de régularisation des zones d'habitat informel détruisent non seulement des maisons, mais aussi des lieux de travail et des moyens de subsistance. D’ailleurs, les personnes habitant ces zones paient généralement plus que les consommatrice·eur·s de la classe moyenne et les usines de l’économie formelle pour les services d’infrastructures de base par unité.

Les impératifs de la planification urbaine

Une attention particulière doit être accordée aux activités de subsistance –actuelles comme potentielles– lors de la conception et de la mise à jour des programmes de logements sociaux. Les règlements de zonage doivent tenir compte de la valeur des travailleuse·eur·s à domicile en autorisant dans un quartier résidentiel toute activité commerciale réalisée par une personne y résidant.

Des services de base accessibles et fiables –surtout l’eau et l’électricité– s’avèrent cruciaux aux moyens de subsistance des travailleuse·eur·s à domicile. À ce propos, quelques résultats positifs ont été atteints en termes de politiques publiques au cours des deux dernières décennies.

Convention sur le travail à domicile (C177)

Il existe une norme internationale adoptée par la Conférence internationale du Travail en 1996 –la Convention sur le travail à domicile (C177, texte intégral)– qui demande des politiques nationales sur l'égalité de traitement entre les travailleuse·eur·s à domicile et les autres travailleuse·eur·s salarié·e·s, y compris des mesures pour que les statistiques du travail couvrent cette activité.

Partout dans le monde, les organisations de travailleuse·eur·s à domicile plaident pour que leurs gouvernements nationaux ratifient et mettent en œuvre la C177, mais, 20 ans après son adoption, seulement douze pays l’ont ratifiée. Certains pays ont néanmoins légiféré au niveau national pour protéger les travailleuse·eur·s à domicile, dont des réseaux régionaux et mondiaux d’organisations et leurs affiliés poursuivent la lutte en faveur d’un travail décent.

Pour mieux connaître les répercussions de la Convention nº 177 vingt ans après son adoption, consultez les ressemblances et les différences pour les travailleuse·eur·s à domicile entre 1996 et 2016.

HomeNet Thaïlande, avec le soutien de WIEGO et d’autres partenaires, a fait campagne pendant plus d’une décennie pour que les travailleuse·eur·s à domicile aient une protection législative sur la base de la Convention 177. Une loi (Homeworkers Protection Act, B.E.2553) et une politique de protection aux travailleuse·eur·s à domicile sont, toutes les deux, entrées en vigueur en mai 2011. La loi exige que les salaires soient équitables pour toute personne qui réalise un travail à domicile au bénéfice d’une entreprise industrielle, y inclus l’égalité salariale à travail égal pour les femmes et les hommes. Consultez ce document qui explique comment des droits légaux ont été obtenus pour les sous-traité·e·s en Thaïlande (WIEGO 2013).

Déclaration de Katmandou

La Déclaration de Katmandou porte sur les droits des travailleuse·eur·s à domicile de l’Asie du Sud. Elle a été adoptée en 2000 par les représentant·e·s des gouvernements de la région, des organismes des Nations unies, des ONG et des syndicats de cinq pays lors d’une conférence régionale qu’ont organisée l’UNIFEM et WIEGO grâce au soutien du Centre de recherches pour le développement international. WIEGO a fourni la recherche sur laquelle est fondée la Déclaration de Katmandou.

Conseils tripartites de protection sociale en Inde

L’Association des femmes indépendantes (SEWA) a contribué à améliorer la situation des travailleuses à domicile en les représentant dans des conseils tripartites où participent aussi des délégué·e·s du gouvernement et des employeuse·eur·s. Depuis ces quatre dernières décennies, le plaidoyer politique a donné lieu à l’inclusion des travailleuse·eur·s à domicile provenant de plusieurs secteurs –notamment les couturier·ère·s et les personnes travaillant dans la production de bidî (cigarettes indiennes) et d’agarbatti (bâtons d’encens)– dans les annexes étatiques (State Schedules) de la loi sur le Salaire minimum du pays. De ce fait, les revenus ont augmenté. D’ailleurs, la législation mise en œuvre dans les années 1980, comme la loi sur le Fonds de prévoyance dans l’industrie de bidî et de cigares, prévoit des régimes de sécurité sociale tels que l’assurance maladie, la garde d’enfants et le logement des travailleuse·eur·s à domicile.


Organisation et représentation

Du fait de leur isolement, s’organiser est particulièrement essentiel à l’autonomisation des travailleuse·eur·s à domicile, mais cela s’avère un défi à cause de leur fréquente dispersion, outre l’isolation. Malgré ces contraintes, un nombre grandissant d’organisations se rejoignent pour former de réseaux régionaux et nationaux. Lorsque les travailleuse·eur·s à domicile s’organisent et se donnent une voix collective, leur capacité à négocier s’accroît. Quelques travailleuse·eur·s forment également des coopératives afin de mettre leurs activités économiques au service de la collectivité.

Parmi les principales revendications des travailleuse·eur·s à domicile organisé·e·s se trouvent : l’accès à la protection sociale et aux services de garde d’enfants ; la sécurité de l’occupation foncière et l’accès abordable aux services d’eau et d’électricité en faveur des activités productives ; la planification urbaine inclusive et des règlements de zonage à usage mixte ; un environnement de travail sécurisé et propice à leurs activités. Pour les travailleuse·eur·s à domicile sous-traité·e·s dans les chaînes d’approvisionnement, des revendications clés supplémentaires comportent des commandes régulières et des tarifs à la pièce équitables et, plus fondamentalement, l’obligation qui revient à la marque ultime d’assumer la responsabilité des conditions de travail tout au long de la chaîne. Pour les indépendant·e·s, s’ajoute la nécessité d’accompagnement visant à avoir accès aux marchés et à des prix équitables.

Le lancement de HomeNet International au début de 2021 a constitué un jalon important dans la construction d’une voix et de visibilité à l’échelle mondiale.

Réseaux régionaux et nationaux

En Inde, l’Association des femmes indépendantes (SEWA) est le plus grand syndicat au monde de travailleuses de l’informel. Comptant maintenant presque deux millions de femmes membres, dont environ un cinquième des travailleuses à domicile, SEWA joue un rôle déterminant dans l’obtention de tarifs plus élevés et de meilleures conditions de travail pour les travailleuses à domicile dans de nombreuses industries.

HomeNet de l’Asie du Sud est né de la conférence régionale de l’année 2000 sur les travailleuse·eur·s à domicile qu’ont organisée SEWA, UNIFEM et WIEGO. Il s’agit d’un réseau de 60 organisations de base (OB) et d’organisations non-gouvernementales (ONG) provenant de huit pays d’Asie du Sud –y compris des syndicats, des coopératives, des entreprises de production, des entreprises d’économie sociale et des ONG s’occupant des travailleuse·eur·s à domicile.

HomeNet de l’Asie du Sud-Est organise des travailleuse·eur·s à domicile afin de gérer de façon démocratique des organisations et des réseaux autonomes –tant au niveau des sous-régions qu’au niveau national– qui serviront à atteindre de meilleures conditions de travail et de meilleurs niveaux de vie, ainsi qu’un emploi plus stable et l’accès à la protection sociale.

PATAMABA aux Philippines constitue une organisation au niveau local, dirigée et gérée par des travailleuses à domicile. Elle compte plus de 19 000 travailleurs de l’informel (les femmes en constituent 98 %).

HomeNet Thaïlande représente des travailleuse·eur·s de l’informel et comporte une importante population de travailleuse·eur·s à domicile sous-traité·e·s. HomeNet Thaïlande a joué un rôle déterminant dans l’obtention de droits légaux pour des millions de travailleuse·eur·s.

Les travailleuse·eur·s à domicile en Europe de l’Est et en Asie centrale joignent leurs organisations en réseau de plus en plus et ont créé et enregistré HomeNet de l'Europe de l'Est et l'Asie centrale. En Bulgarie, l’association des travailleuses et travailleurs à domicile a été enregistrée en 2002.

En Afrique, la Plate-forme régionale pour l’Afrique rassemble des organisations –confirmées comme émergentes– de travailleuse·eur·s à domicile provenant de cinq pays : l’Éthiopie, le Kenya, l’Afrique du Sud, la Tanzanie et l’Ouganda. La plate-forme bénéficie de l’accompagnement du programme Organisation et représentation de WIEGO.

HomeNet Kenya a été mis sur pied le 10 décembre 2020 et un réseau ougandais de travailleuse·eur·s à domicile est en voie d’enregistrement sous le nom de Remunerative Work Uganda (« travail rémunérateur »).

En Amérique latine, des organisations de travailleuse·eur·s à domicile provenant du Pérou, du Nicaragua, du Chili, du Brésil et de l’Uruguay ont créé en 2017 un front uni sous le nom de COTRADO-ALAC, qui est déjà en communication avec des organisations semblables en Argentine et au Mexique. COTRADO-ALAC bénéficie de l’accompagnement du programme Organisation et représentation de WIEGO.

Le réseau en Afrique tout comme COTRADO-ALAC font partie de HomeNet International, ce qui n’est pas le cas de HomeNet de l'Europe de l'Est et l'Asie centrale.


Spécialistes à WIEGO

Marty Chen
Conseillère principale

Marlese Von Broembsen
Directrice, programme Droit de WIEGO

Shalini Sinha
Représentante de l’Inde

Vanessa Pillay
Coordinatrice en Afrique du programme Organisation et représentation

Laura Raquel Morillo Santa Cruz
Chargée du programme Organisation et représentation en Amérique latine


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[Photo en haut de la page] Le tissage constitue une partie importante du travail réalisé par les travailleuse·eur·s à domicile au Laos. Crédit photo : Marty Chen
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