Le chemin vers la reprise : Comment un collectif de citoyen·ne·s de Delhi mobilise la planification de la ville pour répondre aux besoins des travailleuse·eur·s de l’informel

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Shalini Sinha, Malavika Narayan

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Les 5 millions de travailleuse·eur·s de l’informel de Delhi ont été les plus durement affecté·e·s lorsque le pays a mis en place des mesures d’isolement social obligatoire sévères en mars 2020 pour freiner la propagation de la pandémie de la COVID-19. À présent, alors que les villes du monde entier avancent vers la reprise, Delhi doit faire de même. Pourtant, au lieu de revenir à la « normalité » la ville doit être réimaginée et transformée pour devenir favorable aux travailleuse·eur·s, y compris celles·ceux de l’informel. Le plan directeur de Delhi pourrait être un outil essentiel pour construire une ville plus inclusive qui donne la priorité à la relance des moyens de subsistance et à la promotion du travail décent.

Aujourd’hui, plus que jamais, Delhi a besoin d’une approche de planification partant du bas vers le haut qui réponde à la manière dont les gens vivent et travaillent réellement dans la ville. La très grande économie informelle de la ville a été fracturée par le choc économique que la pandémie et l’isolement social obligatoire subséquent ont déclenché.

Il est urgent que le plan directeur de Delhi 2041, actuellement en cours d’élaboration, passe d’une planification exclusivement destinée à la ville formelle à une planification qui tienne également compte de la majorité des travailleuse·eur·s urbain·e·s qui travaillent dans l’économie informelle et vivent dans des établissements informels. La pandémie a fait ressortir les dangers de l’exclusion et la nécessité cruciale d’assurer un niveau de vie équitable à la totalité des citoyen·ne·s urbain·e·s. 

Pour répondre à la tradition d’exclusion de Delhi en matière de planification, l’équipe des Villes focales de WIEGO à Delhi –avec une coalition diversifiée de défenseuse·eur·s des droits des travailleuse·eur·s de l’informel, du droit au logement, de la justice de genre et de l’environnement– a lancé la campagne Main Bhi Dilli, I too am Delhi, (Moi aussi, je suis Delhi) en 2018. Constituée d’un collectif de citoyen·ne·s, la campagne vise à intervenir dans le processus de planification formel et à influencer la création d’une ville plus équitable, plus juste et plus durable.

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Assemblée publique de la campagne Main Bhi Dilli sur le plan directeur de Delhi avec les vendeuse·eur·s de rue du centre de Delhi, organisée par Basti Suraksha Manch. Crédits : Basti Suraksha Manch​​​​​​

Au cours de ses deux premières années, le groupe de campagne a organisé des assemblées publiques dans différents quartiers de la ville afin de sensibiliser au plan directeur de Delhi 2041 et à ses processus, et a renforcé collectivement la capacité des organisations populaires à s’engager dans le plan. À bien des égards, Main Bhi Dilli a joué un rôle de passerelle. D’abord, elle a aidé les communautés à exprimer leurs besoins et leurs demandes vis-à-vis de la ville. Ensuite, elle a traduit ces besoins et ces demandes dans la langue utilisée dan le plan et en aidant ces communautés à comprendre cette traduction –la façon dont leurs expériences et leurs besoins se recoupent avec le plan–. Enfin, elle a transmis ces informations aux urbanistes sous la forme de recommandations détaillées.

Un grand nombre des principes fondamentaux que la campagne a défendus –notamment le droit à un logement décent et ses liens avec l’emploi, ainsi que l’accès aux infrastructures physiques et sociales de base– ont été renforcés à la suite de la pandémie. L’absence de tels droits a aggravé la vulnérabilité et l’insécurité des travailleuse·eur·s pendant la crise, comme l’a montré l’exode massif pendant la période d’isolement social obligatoire.    

La campagne plaide en faveur d’une approche centrée sur les moyens de subsistance, en vertu de laquelle les moyens de subsistance informels doivent être officiellement reconnus et des dispositions de soutien adéquates doivent être mises en place. L’attribution formelle d’espaces pour les lieux de travail des travailleuse·eur·s de l’informel, tels que les centres de tri des déchets dans les quartiers, les zones de vente et les postes de travail communautaires pour les travailleuses à domicile, constitue l’un des objectifs clés de la campagne. Pour renforcer ces revendications, le collectif a créé une base de connaissances sur les besoins des travailleuse·eur·s de l’informel, en consultation avec les travailleuse·eur·s et leurs organisations de base. Ces informations ont été rassemblées sous forme de fiches et présentées à l’Institut national des affaires urbaines, l’organisme chargé de rédiger le prochain plan directeur de Delhi 2041.

La campagne a également préparé des notes techniques sur les questions clés, formulées dans la langue du plan directeur pour qu’elles puissent être directement insérées dans le plan. L’équipe de Villes focales de Delhi a dirigé la rédaction de trois rapports portant sur la reconnaissance des ménages comme lieu de travail pour les travailleuse·eur·s à domicile –ce qui est actuellement pénalisé– ; un modèle de « centres communautaires polyvalents » comme un moyen pour actualiser la décentralisation des services gouvernementaux et les rendre plus accessibles aux citoyen·ne·s en rapprochant les services de leur domicile ; et une infrastructure décentralisée des déchets qui offre un espace pour les récupératrice·eur·s de matériaux de l’informel, comme des espaces de tri dans les quartiers, des installations de récupération des matériaux et des marchés de recyclage.

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Assemblée publique de la campagne Main Bhi Dilli sur le plan directeur de Delhi avec les récupératrice·eur·s de matériaux dans la localité de Ghazipur, organisée par Basti Suraksha Manch. Crédits : Basti Suraksha Manch

La ville focale de Delhi a également contribué à des rapports sur l’extension des terrains disponibles pour la vente de rue, ce qui permettrait la bonne application de la loi sur les vendeuse·eur·s de rue, et sur un modèle de foyers pour les travailleuse·eur·s migrant·e·s.

En attendant que le projet de plan directeur soit rendu public et que l’influence de la campagne soit évaluée, plusieurs résultats sont déjà visibles.

La coalition a réussi à rassembler non seulement les travailleuse·eur·s de l’informel mais aussi de nombreuses personnes marginalisées dans la ville, comme les personnes sans-abri ou les handicapé·e·s, les agricultrice·eur·s urbain·e·s, les résident·e·s des bidonvilles et les femmes. Elle a été un catalyseur d’apprentissage et d’échange, où les communautés, les activistes et les urbanistes ont travaillé ensemble pour exprimer leurs demandes sur les moyens de subsistance et la ville. La campagne a également réussi à sensibiliser les personnes démunies de la ville au processus de planification, en soulignant la nécessité de leur participation à ce processus.

Si la consultation publique recherchée lors de l’élaboration du plan directeur a constitué un changement bienvenu par rapport aux processus de planification précédents, le manque de connaissance du public aurait impliqué que seuls les groupes d’intérêt bien établis auraient pu y participer. La campagne Main Bhi Dilli a pu intervenir pour faciliter la participation des groupes marginalisés qui n’auraient pas été entendus autrement. Ce standard de participation accrue crée un précédent important pour les processus de planification à venir.

Alors que Delhi avance vers une nouvelle ronde de consultations, il est crucial de sensibiliser les travailleuse·eur·s et leurs organisations, de décoder les détails techniques du plan afin de les rendre accessible à toutes·tous et d’articuler les demandes de moyens de subsistance dans le langage spatial utilisé par les planificatrice·eur·s afin de garantir que les groupes de travailleuse·eur·s de l’informel s’engageront dans le plan pour que leurs voix puissent être entendues.

Parmi les nombreuses leçons que la crise de la COVID-19 nous a apprises ici à Delhi, il y en a une qui se démarque : toute politique ne reconnaissant pas et ne répondant pas aux réalités vécues par les travailleuse·eur·s démuni·e·s peut les amener au bord de la famine en quelques jours, et la ville à genoux en quelques semaines. La nécessité critique de traiter le lien entre la planification urbaine et les moyens de subsistance des travailleuse·eur·s démuni·e·s n’a jamais été aussi prononcée.

Photo : Assemblée publique de la campagne Main Bhi Dilli sur le plan directeur de Delhi avec les résident·e·s de la colonie de réinstallation de Savda Ghevra, organisée par le Mahila Housing Sewa Trust. Crédit : Mahila Housing Sewa Trust

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