Financer la protection sociale : les enseignements des travailleuse·eur·s à la tâche en Inde

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Il est crucial d’étendre la protection sociale à l’ensemble des travailleuse·eur·s, en y incluant celles et ceux de l’économie informelle, afin de créer des emplois d’une meilleure qualité. Il est également essentiel, à cet effet, de financer davantage la protection sociale. Précisément, un régime pour financer la protection des travailleuse·eur·s à la tâche dans l’État du Rajasthan, en Inde, pourrait apporter des enseignements à d’autres travailleuse·eur·s de l’informel. Pour en savoir plus, WIEGO a parlé avec l’activiste social Nikhil Dey.


Les Comités pour la protection des travailleuse·eur·s (Labour Welfare Boards) de l’Inde

En Inde, 90 % personnes qui travaillent le font dans l’informel et la vaste majorité ne s’est pas encore organisée.

Au début des années 1950, partout dans les pays, les travailleuse·eur·s manuel·le·s ont commencé à constituer des comités fédérant d’autres personnes du même métier. Mandatés par la loi, ces comités ont donné aux travailleuse·eur·s une certaine capacité collective de négociation et de contrôle.

"Pour la nouvelle loi sur les travailleuse·eur·s à la tâche, on a utilisé comme source d’inspiration l’un des premiers comités de protection, celui des porteuse·eur·s," explique Dey.

En effet, grâce au comité de protection des porteuse·eur·s de charge sur la tête, toute personne embauchant un·e porteuse·eur payait une rétribution supplémentaire, qui était ensuite affectée à un fonds pour financer la protection de ces travailleuse·eur·s. Le comité a dépassé la nécessité d’une relation d’emploi, mais il est néanmoins parvenu à mobiliser une relation économique pour soutenir le financement.


La percée au Rajasthan

Les plates-formes numériques du travail ouvrent des possibilités aux travailleuse·eur·s, mais la nature fragmentée de ce travail pose des défis à leur organisation, y compris au financement de la protection sociale. Pour couronner le tout, les entreprises exploitant les plates-formes se sont opposées aux réglementations.

"Mais aucune plate-forme ne peut plaider contre la nécessité d’accorder des droits sociaux aux travailleuse·eur·s – voilà en quoi consiste la percée ici au Rajasthan. On s’est dit qu’il était impératif de légiférer sur la sécurité sociale en utilisant les comités de protection des travailleuse·eur·s comme modèle," raconte Dey.

Au Rajasthan, l’Assemblée législative vient tout juste d’adopter une loi créant le Comité de protection des travailleuse·eur·s à la tâche des plates-formes. Celui-ci contribuera au financement de la protection sociale.

"Il s’agit d’une idée particulièrement puissante," dit Dey.

Toute plate-forme opérant au Rajasthan doit être déclarée et la totalité de ses travailleuse·eur·s seront, de ce fait, automatiquement inscrit·e·s auprès du comité. Chaque transaction effectuée sur les plates-formes donnera lieu à une rétribution, qui sera ensuite affectée au financement de la protection sociale des travailleuse·eur·s, en passant par le comité de protection. Il est ainsi envisageable d’accomplir trois tâches cruciales. En premier lieu, des droits en matière de sécurité sociale prévus par la loi sont accordés. Ensuite, cela enfante un mécanisme permettant à chaque travailleuse·eur d’être déclaré·e et de recevoir sa juste part. Enfin, le comité dispose d’une représentation tripartite – travailleuse·eur·s, entreprises et gouvernement – qui devrait faire en sorte qu’aucune injustice ne subsiste et que toutes les parties intéressées aient leur mot à dire.

À ce jour, la loi a été adoptée par l’Assemblée de l’État et n’attend que la signature du gouverneur pour être mise en œuvre.

Mais Dey affiche une certaine prudence: "Il s’agit, certes, d’une première étape, mais cela ne veut pas dire que la loi ait accordé aux travailleuse·eur·s à la tâche une série complète des droits dont elles·ils ont besoin en tant que tel·le·s ; ni que la relation entre les employeuse·eur·s et les employé·e·s soit correctement définie ou pleinement sécurisée. Loin de là."


Financer la protection sociale

Le comité est exceptionnel parce qu’il crée une relation entre le temps de travail de chaque travailleuse·eur et la rétribution perçue, plutôt qu’une seule somme à être collectée sur l’ensemble des transactions. De plus, alors que l’État a annoncé une somme substantielle d’argent pour mettre le comité sur pied, les entreprises sont à verser un pourcentage de leurs bénéfices à la sécurité sociale.

Par exemple, si l’on regarde une application offrant des trajets en voiture : la voiture appartient à la personne la conduisant et les coûts de carburant et d’assurance, ainsi que l’investissement en termes de temps et de risque, sont à sa charge. Le rôle de l’entreprise ne consiste qu’à regrouper les travailleuse·eur·s sur une plate-forme, en contrepartie d’environ 20-30 % de leurs bénéfices rien que pour cela. En vertu de cette nouvelle loi, elles auront également l’obligation de cotiser à la sécurité sociale au nom des travailleuse·eur·s opérant sur leurs plates-formes.

Les transactions entre les entreprises et les travailleuse·eur·s seront surveillées au fur et à mesure qu’elles passeront par le comité à travers un système de transaction numérique.

"D’une certaine manière, l’application était hostile aux travailleuse·eur·s, mais elle peut éventuellement devenir bienveillante," espère Dey.


Que faire maintenant?

Dey a bon espoir que la création de comités de protection des travailleuse·eur·s à la tâche déclenchera une réaction en chaîne. "De toute évidence, l’étape suivant l’adoption d’une loi est la mise en œuvre, mais nous espérons qu’elle sera une source d’inspiration pour des avancements, pour des progrès ailleurs, plutôt que pour une simple reproduction."

Pour commencer, l’État du Karnataka a annoncé la création d’un comité de protection des travailleuse·eur·s à la tâche et a précisé que sa contribution financière serait bien plus élevée que celle du Rajasthan. Dans le même sens, l’État du Tamil Nadu a informé d’un nouveau comité de protection des travailleuse·eur·s à la tâche. Il s’agit de deux États avec un très vaste nombre de ce type de travailleuse·eur·s, plus important que celui au Rajasthan.

"Le Rajasthan a mis en marche la création du même régime dans bien d’autres États. Notre souhait est que cette marche devienne trop puissante pour l’arrêter, que ces régimes soient plus progressifs. Nous espérons que l’expérience au Rajasthan sera améliorée au Karnataka et encore davantage au Tamil Nadu," nous partage Dey.


Nikhil Dey est un activiste social en Inde travaillant pour l’autonomisation des paysan·ne·s et des travailleuse·eur·s. Il est membre fondateur de MKSS (Mazdoor Kisan Shakti Sangathan ou Collectif d’autonomie des travailleuse·eur·s et des paysan·ne·s), une organisation de base qui lutte pour le droit à l’information et plaide pour une loi nationale sur la garantie du travail en Inde.

Entrée du blog d’après une conversation entre Nikhil Day et Cyrus Afshar, membre du programme Protection sociale de WIEGO, sur le podcast de WIEGO autour de la protection sociale, dont Cyrus est l’hôte. Nous vous invitons à écouter l’épisode en entier : Financer la protection sociale des travailleuse·eur·s à la tâche au Rajasthan.

Photo: Porteuse·eur·s de charge au travail sur le principal marché de légumes à Ahmedabad, en Inde. Un comité de protection des travailleuse·eur·s à la tâche a été une idée inspirée par l’un des premiers comités de protection constitué, celui-ci, par des porteuse·eur·s de charge du pays. Crédit photo: Paula Bronstein/Getty Images Reportage
Sujets de l'économie informelle
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