Les travailleuse·eur·s non salarié·e·s dépendant·e·s à domicile, leurs organisations et leurs allié·e·s se réjouissaient il y a un an de l’adoption par l’Union européenne (UE) d’une directive obligeant les pays européens à adopter une législation sur le devoir de vigilance couvrant les travailleuse·eur·s à tous les niveaux de la chaîne d’approvisionnement d’une entreprise, y compris les travailleuse·eur·s non salarié·e·s dépendant·e·s à domicile sous-traitant·e·s, qui travaillent dans des ateliers et à domicile.

Mais le soulagement n’a pas duré longtemps. Sept mois plus tard, en février 2025, la Commission européenne a introduit un « paquet de simplification omnibus ». Ce retour en arrière de l’UE par rapport à son engagement de protéger les droits des travailleuse·eur·s, les droits humains et l’environnement, en promouvant un comportement responsable des entreprises dans les chaînes d’approvisionnement, met en danger les travailleuse·eur·s de l’industrie du vêtement dans le monde entier.

La proposition de la Commission est actuellement examinée par le Parlement européen et le Conseil de l’UE. Les négociations en trilogue entre les trois organes commenceront ensuite. Le vote final sur le paquet pourrait n’avoir lieu qu’à la mi-2026. Entre-temps, le Parlement européen a arrêté la mise en œuvre de la directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (CSDDD). L’obligation pour les États membres de l’UE de la transposer en droit national a été reportée à juillet 2027.

La CSDDD représente une grande victoire

L’Organisation internationale du Travail (OIT) estime qu’il y a au moins 49 millions de travailleuse·eur·s non salarié·e·s dépendant·e·s à domicile sous-traitant·e·s dans le monde, dont la plupart sont des femmes. Embauché·e·s par les usines ou indirectement par des intermédiaires, les travailleuse·eur·s non salarié·e·s dépendant·e·s à domicile se trouvent au plus bas de la chaîne d’approvisionnement. Ce sont elles·eux qui gagnent le moins, qui ont le travail le plus précaire et qui ont le moins de chances de voir leurs droits fondamentaux respectés.

La directive couvre l’ensemble de travailleuse·eur·s de la chaîne d’activités d’une entreprise. Cela inclut les « partenaires commerciaux indirects » de l’entreprise, dont le travail est lié aux opérations, aux produits ou aux services de l’entreprise. Ceci est particulièrement important dans l’industrie du vêtement et de la chaussure, où les usines de premier niveau sous-traitent à des partenaires commerciaux indirects, qui à leur tour sous-traitent à des ateliers et à des travailleuse·eur·s non salarié·e·s dépendant·e·s à domicile qui travaillent depuis chez elles·eux. Les fournisseurs sous-traitent des tâches pour réduire les coûts de production, pour répondre aux fluctuations de la demande de main-d’œuvre et pour éviter de payer le salaire minimum et de contribuer à la protection sociale, vu que les travailleuse·eur·s non salarié·e·s dépendant·e·s à domicile sont souvent exclu·e·s du champ d’application de la législation du travail.

Parmi les raisons pour lesquelles nous avons salué la CSDDD, il y a le fait qu’elle prévoit un engagement significatif des parties intéressées à tous les niveaux de la chaîne d’approvisionnement. Elle inclut également une définition large des parties intéressées afin de garantir que les entreprises puissent s’engager de manière flexible avec les personnes et les groupes les plus pertinents, y compris les organisations de la société civile. L’engagement auprès des travailleuse·eur·s non salarié·e·s dépendant·e·s à domicile réduirait les risques de violation des droits dans les chaînes d’approvisionnement et aiderait les entreprises à respecter leurs devoirs de diligence raisonnable.

Un recul qui laissera une grande partie de la population occupée sans protection

Le paquet omnibus menace d’affaiblir cette protection des droits des travailleuse·eur·s non salarié·e·s dépendant·e·s à domicile. Au lieu de prévoir une approche fondée sur les risques pour l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement, le champ d’application est limité aux partenaires commerciaux directs, c’est-à-dire aux partenaires situés au « niveau 1 » de leur « chaîne d’activités ». Les entreprises ne devraient aller au-delà de leurs partenaires commerciaux directs que lorsqu’elles disposent « d’informations plausibles » indiquant que des effets négatifs sur les droits humains ou l’environnement sont susceptibles de se produire dans le cadre d’une relation commerciale indirecte.

Dans l’industrie du vêtement et de la chaussure, un secteur où le risque de violation des droits humains est élevé, la plupart de la population occupée ne serait pas couverte. Les statistiques de l’OIT sur ce secteur montrent qu’un tiers des travailleuse·eur·s, principalement des femmes, en Inde, au Pakistan et en Indonésie travaillent en dehors des usines, à leur domicile ou à proximité. Les travailleuse·eur·s non salarié·e·s dépendant·e·s à domicile qui sont engagé·e·s directement par des superviseurs d’usine ou par des ateliers pour travailler chez elles·eux gagnent entre la moitié et le tiers du salaire minimum. Elles·ils doivent également assumer les coûts de production, notamment l’électricité et les équipements tels que les machines à coudre et les ciseaux.

Comme nous l’avons souligné dans une lettre ouverte à la Commission européenne, si la proposition omnibus est adoptée et que la CSDDD ne s’applique qu’à certaines catégories de travailleuse·eur·s, les fournisseurs risquent d’informaliser la main-d’œuvre en gardant une usine qui respecte les codes et en sous-traitant avec d’autres usines qui ne sont pas auditées et qui ne respectent pas les codes. Les entreprises et les chercheuse·eur·s européen·ne·s ont elles·eux aussi vivement critiqué le paquet omnibus, tant sur le fond que sur la forme.

Le renforcement du devoir de diligence raisonnable est indispensable

Le paquet omnibus n’en est qu’à ses débuts. Pour que les changements entrent en vigueur, un large soutien des 27 pays membres de l’UE est nécessaire, sachant que le processus législatif est long et complexe. Ses dispositions ne sont pas exemptes de controverse et peuvent être modifiées au fur et à mesure que les négociations progressent.

En attendant, il est essentiel que les parties intéressées, à savoir les gouvernements, les entreprises, les investisseurs, les organisations de travailleuse·eur·s et la société civile, poursuivent leurs efforts pour renforcer le devoir de diligence raisonnable, conformément aux normes internationales qui sont à la base de la CSDDD. Comme l’a souligné Shift, on dispose déjà de beaucoup d’informations sur ce qu’il faut faire pour mener à bien le devoir de diligence raisonnable, de manière à ce qu’il soit à la fois réalisable pour les entreprises et bénéfique pour les populations et pour la planète.

Pour ce faire, elles·ils devraient s’inspirer du guide sur le devoir de diligence pour des chaînes d’approvisionnement responsables dans le secteur de l’habillement et de la chaussure de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Les pays membres de l’OCDE ont montré la voie en matière de contrats responsables avec les travailleuse·eur·s non salarié·e·s dépendant·e·s à domicile. Le module 12 de ce guide stipule que : « Les travailleurs à domicile [travailleuse·eur·s non salarié·e·s dépendant·e·s à domicile] font partie intégrante de la main d’œuvre d’une entreprise. Le travail à domicile doit donc être formalisé pour assurer une égalité de traitement et des conditions d’emploi correctes à ceux qui le pratiquent ».