Le 12 juin 2025, la Cour interaméricaine des droits humains (Cour IDH) a publié l’avis consultatif OC-31/25, à la demande de l’État argentin. Lors de ce processus, WIEGO a présenté des observations écrites sur le droit aux soins et sur le travail dans l’emploi informel en tant qu’amicus curiae, un rôle qui lui permet d’apporter des données expertes au tribunal. Dans cet avis consultatif, la Cour IDH a non seulement reconnu le droit aux soins comme un droit humain autonome, mais a aussi — pour la toute première fois — affirmé expressément que le droit au travail protège de la même façon tant les personnes ayant un emploi formel que celles qui travaillent dans l’informel.

Cette décision représente un jalon juridique pour toute la région : il est désormais incontestable que les travailleuse·eur·s de l’informel ont les mêmes droits que toute autre personne. Elle suppose que les États doivent prendre des mesures pour protéger, respecter et garantir non seulement l’emploi formel mais aussi l’emploi informel dans ses diverses formes : travail domestique, travail de soins, récupération de matériaux, commerce dans les espaces publics ou travail à domicile. Il s’agit d’une référence qui orientera les décisions futures des tribunaux et des organes des droits humains aux niveaux national et international.

Qu’est-ce que le droit aux soins et à qui est-il attribué ?

L’avis consultatif OC-31/25 naît d’une question posée par l’État argentin : quelles sont les obligations des États par rapport au droit aux soins ?

La Cour IDH y répond en reconnaissant pour la première fois que le droit aux soins est un droit humain autonome qui « comprend le droit de toute personne à disposer du temps, de l’espace et des ressources nécessaires pour offrir, obtenir ou se procurer des conditions garantissant son bien-être total et lui permettant de mener librement son projet de vie, selon ses capacités et son étape de vie ».

Selon la Cour IDH, bien que les soins soient déjà incorporés à plusieurs autres droits protégés par la Convention américaine des droits humains, cette protection demeurait insuffisante : elle peut porter atteinte à la dignité des personnes et n’offre pas assez de garanties aux travailleuse·eur·s des soins. La Cour ayant reconnu le droit autonome aux soins, les États doivent prendre des mesures — notamment législatives — pour assurer qu’il peut être exercé dans ses trois dimensions : le droit de recevoir des soins, le droit de prendre soin d’autrui et le droit de prendre soin de soi.

Il est établi aussi que les soins sont une activité protégée par le droit au travail, ce qui implique que les personnes réalisant des tâches de soins sont couvertes par les garanties législatives du travail. Dans la pratique, les États doivent protéger de manière complète les travailleuse·eur·s des soins en leur garantissant du temps, du repos, des soins de santé et des conditions dignes pour l’exercice de leur emploi. De plus, ils doivent reconnaître la valeur économique et sociale de leur travail.

Sans l’imposer, la Cour IDH recommande la création de systèmes nationaux de soins, considérée comme une manière pertinente de réaliser ce droit en favorisant la responsabilité partagée des familles, des communautés, des entreprises et des gouvernements.

Cet avis consultatif est bénéfique pour les travailleuse·eur·s des soins, mais il représente aussi une avancée normative dans le cadre de la protection juridique de tout le travail informel, car il étend la portée du droit au travail et à la sécurité sociale, qui couvre désormais des millions de personnes.

Qui sont celles et ceux qui exercent le travail des soins aux Amériques ?

La Cour IDH, après avoir analysé qui sont les personnes réalisant des tâches de soins, conclut que les femmes d’origine indigène et d’ascendance africaine sont surreprésentées dans le secteur informel du travail de soins et du travail domestique, et qu’elles sont, pour la plupart, des migrantes. Beaucoup d’entre elles travaillent dans des conditions précaires, perçoivent des salaires bas et rencontrent des obstacles à l’accès aux droits dans les pays où elles exercent leur emploi.

L’avis consultatif de la Cour IDH identifie cette réalité comme faisant partie des « chaînes mondiales de soins » : des femmes qui migrent pour prendre soin d’autres familles et qui délèguent leurs propres responsabilités de soins non rémunérées, en général, à d’autres femmes de leur famille qui restent dans leur pays d’origine. Cette dynamique entraîne une surcharge du travail de soins déjà existant, ainsi que des vulnérabilités pour celles qui migrent et celles qui restent dans leurs communautés, et perpétue des pratiques discriminatoires en fonction du genre, de l’appartenance ethnique, du statut économique et des origines.

Les répercussions de la reconnaissance des soins comme un travail : un élargissement historique des droits pour les travailleuse·eur·s de l’informel

L’une des avancées majeures de cette décision est l’affirmation, par la Cour IDH, que les tâches de soins — rémunérées ou non — constituent un travail. Ce faisant, elle contredit l’idée selon laquelle le droit au travail ne protège que les relations de travail formelles ou salariées. En effet, elle souligne que le travail ne se limite pas aux tâches réalisées dans le cadre d’une relation de travail salarié. Bien qu’en principe l’avis consultatif ne fasse référence qu’aux travailleuse·eur·s des soins non rémunéré·e·s, il est favorable aussi aux travailleuse·eur·s indépendant·e·s ou non salarié·e·s, qui ne sont pas assez protégé·e·s par les normes du travail et les politiques qui en découlent.

La Cour IDH consolide son interprétation en citant la Recommandation n° 204 de l’OIT sur la transition de l’économie informelle vers l’économie formelle. Cet instrument — que WIEGO a promu mondialement car il s’agit de la seule norme internationale qui traite spécifiquement des conditions à garantir aux travailleuse·eur·s de l’informel pour que leur travail soit digne — permet d’affirmer que ces garanties doivent aussi atteindre les personnes dont le travail n’est ni reconnu ni réglementé, comme c’est le cas des travailleuse·eur·s des soins non rémunéré·e·s.

Les soins encadrés dans le droit du travail comme levier contre l’injustice structurelle

La Cour IDH mentionne aussi les personnes ayant des responsabilités de soins au sein de leur famille — notamment des femmes —, qui cumulent ces tâches à leur emploi formel ou informel. Selon le jugement, les États doivent garantir que les tâches de soins ne limitent pas l’exercice du droit au travail.

Ce point est crucial dans le cadre de l’économie informelle, car les femmes réduisent souvent leurs heures de travail ou leur participation syndicale ou organisationnelle pour accomplir des tâches de garde d’enfants ou de soins aux personnes âgées ou malades. Sans réseaux de soutien ni services publics de soins, les femmes portent toutes seules le poids d’une responsabilité collective, ce qui les place dans une situation de précarité.

La Cour IDH associe cette réalité au droit à la liberté d’association et à la négociation collective et alerte sur le fait que, faute de temps et de conditions favorables à l’organisation, les travailleuses de l’informel sont aussi exclues des occasions de défendre leurs droits et d’exiger de meilleures conditions de travail.

La santé et la sécurité sociale comme piliers du droit aux soins

Le jugement aborde aussi le rapport entre le travail de soins, la santé et la sécurité sociale. La Cour IDH y reconnaît que les personnes réalisant des tâches de soins — notamment dans l’informel — sont exposées à des risques physiques et mentaux, tels que de longues journées de travail, des maladies infectieuses ou le manque de repos.

C’est pourquoi la Cour IDH exige aux États de mettre en place des mesures pour protéger le bien-être total des travailleuse·eur·s des soins, de l’accès progressif aux systèmes de sécurité sociale jusqu’à la création de systèmes complets de soins disposant du temps, de l’espace et des ressources nécessaires.

De même, elle appelle à renforcer les régimes non contributifs de sécurité sociale, en rappelant que la plupart des personnes réalisant des tâches de soins sont des femmes en situation d’informalité ou sans rémunération et, de ce fait, ne peuvent pas contribuer économiquement au système de sécurité sociale.

Mesures concrètes pour garantir le droit à la sécurité sociale des travailleuse·eur·s des soins et domestiques

La Cour IDH analyse la manière dont la sécurité sociale est conçue et souligne que les États doivent prendre en considération les périodes que les femmes consacrent à la garde de leurs enfants, ainsi que la disproportion entre le travail de soins exercé par les femmes et celui exercé par les hommes. Ce fait peut représenter un obstacle à la cotisation en conditions équitables. C’est pourquoi elle met l’accent sur l’importance d’une base de prestations non contributives dont bénéficierait l’ensemble des travailleuse·eur·s de l’informel.

En outre, la Cour IDH propose la mise en place de mécanismes comme l’affiliation d’employeuse·eur·s multiples — ce qui pourrait permettre de garantir le droit à la sécurité sociale des travailleuses domestiques — ou une cotisation partielle ou sporadique pour les travailleuse·eur·s de l’informel en général.

Un précédent qui transforme l’avenir

À WIEGO, nous célébrons l’avancée que représente cet avis consultatif, non seulement en matière de droit aux soins, mais aussi en matière de droit au travail et à la sécurité sociale et de leur lien avec le droit de réunion et d’association. En se prononçant ainsi, la Cour légitime des décennies de lutte des travailleuse·eur·s domestiques et des soins, des récupératrice·eur·s de matériaux et des commerçant·e·s de l’informel et renforce la base juridique de notre travail collectif pour la justice sociale et économique.