Comprendre le terme statistique « non-salarié dépendant » : une interview avec Firoza Mehrotra

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L’ajout d’une nouvelle catégorie « non-salarié dépendant » dans la Classification internationale des statuts d’emploi (CISE-18), en termes de statistiques du travail, devrait conduire à de meilleures données et donc à de meilleures politiques nationales en faveur des travailleurs à domicile, c’est-à-dire les travailleurs sous-traitants à domicile qui ne sont ni des travailleurs totalement indépendants ni des salariés totalement dépendants. Firoza Mehrotra, conseillère stratégique de HomeNet Asie du Sud, parle de l’importance de la nouvelle catégorie.

Qu’est-ce qu’on entend par « non-salarié dépendant » et d’où vient ce terme ?

Le terme « non-salarié dépendant », à usage international, est un terme adopté à la 20e Conférence internationale des statisticiens du travail (CIST), en octobre 2018, par effet d’une résolution pour inclure une nouvelle méta-catégorie dite non-salarié dépendant dans la version révisée de la Classification internationale des statuts d’emploi (désignée CISE-18).

« Les non-salariés dépendants sont des personnes qui travaillent dans le cadre de dispositions contractuelles de nature commerciale (mais pas dans le cadre d’un contrat d’emploi) pour fournir des biens ou des services pour ou au nom d’une autre unité économique. Ce ne sont pas des salariés de cette unité économique, mais ils dépendent d’elle pour l’organisation et l’exécution de leur travail, leur revenu ou l’accès au marché. Ce sont des travailleurs dont la rémunération dépend d’un profit et qui dépendent d’une autre entité exerçant un contrôle sur leurs activités productives et qui bénéficie directement de leur travail. »

Les organisations de travailleurs à domicile reconnaissent qu’à des fins statistiques, les travailleurs à domicile (sous-traitants rémunérés à la tâche ou à la pièce) font désormais partie de cette catégorie. Cela dit, le terme « non-salariés dépendants » a suscité des inquiétudes au sein des organisations de travailleurs à domicile.

Pourquoi y a-t-il des appréhensions à ce sujet ?

Le malaise tient principalement au fait que dans de nombreux pays, dont l’Inde, les travailleurs à domicile (sous-traitants rémunérés à la pièce) sont reconnus par la loi comme « travailleurs » ou « employés » et, de ce fait, bénéficient de nombreux avantages, notamment les prestations d’une caisse de sécurité sociale, une pension, un salaire minimum et le droit de soulever des différends avec l’employeur. Or, en les classant dans la catégorie des « non-salariés dépendants », on risque de perdre les acquis en vertu des lois du travail et tous les avantages qui en découlent et dont ils jouissent maintenant. Même dans les pays qui n’ont pas de telles dispositions, les travailleurs à domicile, en étant classés dans la catégorie des « non-salariés dépendants », pourront se voir refuser les droits des travailleurs.

Cependant, une lecture attentive de la définition ne laisse aucun doute qu’ils sont des « travailleurs », même si la méta-catégorie parle de « non-salarié dépendant ». Les non-salariés dépendants sont classés dans le groupe des « travailleurs dépendants », selon la hiérarchie de classification qui est basée sur l’autorité, avec les employés et les travailleurs familiaux collaborant à l’entreprise.

Beauty care Home-based worker
 Bhavna Headod tient un salon de beauté dans sa maison à la périphérie d’Ahmedabad. Photo : Paula Bronstein/Getty Images Reportage

Sur quoi se fondait la création de cette nouvelle classification de « non-salariés dépendants » ?

Dans les statistiques sur la population active de la plupart des pays, tous les travailleurs à domicile sont classés uniquement comme travailleurs indépendants, sans faire de distinction entre les travailleurs pour compte propre et les travailleurs sous-traitants rémunérés à la pièce. Cette approche n’offre donc pas un tableau complet et nuancé des travailleurs à domicile. En revanche, la nouvelle classification permettra de faire la distinction entre les deux types de travailleurs à domicile.

Bien que ce terme ne soit certainement pas idéal, la catégorie a été acceptée malgré la vive opposition du lobby des employeurs. L’idée est qu’il existe entre les travailleurs indépendants totalement indépendants et les salariés totalement dépendants une catégorie intermédiaire de travailleurs qui sont souvent classés à tort comme « indépendants ». S’ils ne sont pas classés comme tels, à savoir des « non-salariés dépendants », les travailleurs sous-traitants finiront par être classés comme des travailleurs indépendants dans de nombreux pays, comme ils le sont maintenant dans les systèmes statistiques de l’Inde et de certains autres pays.

Si nous disposons de statistiques distinctes pour les travailleurs indépendants pour propre compte et ceux sous-traitants rémunérés à la pièce, cela contribuera à éclairer les débats politiques et à établir des programmes appropriés. Bien que les deux catégories aient des besoins communs, tels que la sécurité sociale, elles nécessitent toutefois des interventions politiques différentes.

À un niveau plutôt macro-international, cette nouvelle catégorie de « non-salarié dépendant » est devenue essentielle, puisque cette forme de travail est en plein essor, tant dans les pays en développement que dans les pays développés, et qu’il faut des statistiques pour éclairer les questions de politiques relatives au recours aux sous-traitants, au transfert du risque économique des employeurs sur les travailleurs, à l’accès à la protection sociale et à l’évolution des formes d’emploi non standard. En clair, cette catégorie facilitera l’analyse du marché du travail, des incidences fiscales, du droit du travail, des obligations en matière de sécurité sociale et, plus généralement, de la politique sociale. Par exemple, si le nombre de non-salariés dépendants en vient à augmenter, cela indiquera peut-être une détérioration du marché du travail ou de l’économie, situation où les entreprises transfèrent davantage le risque économique vers le travailleur ou les travailleurs sont disposés à entrer sur le marché à ce titre en raison d’une pénurie d’emplois offrant des conditions de travail plus rassurantes ou standard. Cette catégorie peut également contribuer à promouvoir pour ces travailleurs une protection sociale adaptée et à atténuer les effets néfastes de l’utilisation ou de l’abus de ces formes d’emploi.

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Sameena Sheikh fait des cerfs-volants dans sa chambre à coucher, à Ahmedabad, en Inde. Photo : Paula Bronstein/Getty Reportage

Quels types de travailleurs sont inclus dans la méta-catégorie de « non-salarié dépendant » ?

Outre les travailleurs à domicile sous-traitants rémunérés à la pièce, cette nouvelle méta-catégorie de non-salarié dépendant comprendra, par exemple, les coiffeurs qui louent une chaise dans un salon et dont l’accès aux clients dépend du propriétaire du salon ; les serveurs dont la rémunération se limite aux pourboires des clients ; les conducteurs de véhicules sous contrat commercial qui fournissent des services organisés par une entreprise de transport ; et les consultants qui travaillent pour des sociétés ou des agences gouvernementales. Cette catégorie comprend également le groupe émergent de travailleurs de ce qu’on appelle « l’économie à la tâche de plateforme numérique » [gig economy], qui ont fait couler beaucoup d’encre et de salive encore récemment dans les milieux universitaires, politiques, juridiques et médiatiques récents. Parmi les exemples figurent les conducteurs de véhicules qui fournissent des services de transport ou de livraison de colis et les travailleurs à domicile assurant des services de traitement de l’information, alors que l’organisation du travail ou l’accès aux clients se fait par l’intermédiaire d’une application Internet contrôlée par un tiers.

Pouvons-nous réviser la définition dans le contexte de l’Asie du Sud et d’autres pays en développement pour que les travailleurs à domicile ne soient pas classés dans la catégorie des non-salariés dépendants, ce qui peut être trompeur ?

Il s’agit d’une norme internationale établie par la Conférence internationale des statisticiens du travail et applicable dans le monde entier. À ce titre, elle permettra de faire des évaluations comparables et d’analyser les tendances mondiales, régionales et nationales du marché du travail, etc. Il vaut mieux s’en tenir aux normes mondiales. Comme je l’ai déjà mentionné, la méta-catégorie « non-salarié dépendant » ne sert qu’à des fins statistiques, et il sera possible de ventiler davantage cette catégorie et d’extraire les données séparément sur les travailleurs à domicile. Cette sous-catégorie pourrait être appelée « non-salariés dépendants à domicile ».

Outre la définition du « non-salarié dépendant » donnée ci-dessus, l’alinéa 37(a) de la Résolution de la 20e CIST concernant les statistiques sur les relations de travail stipule clairement ceci : « Sont inclus dans les non-salariés dépendants les travailleurs dépendants sans contrat d’emploi qui : (a) sont rémunérés uniquement à la pièce ou à la commission et ne bénéficient pas de contributions sociales payées par l’unité économique qui rémunère leur travail… » Tout cela cadre très bien avec ce que nous savons des travailleurs sous-traitants à domicile rémunérés à la pièce. Il convient de noter que le terme utilisée ici est celui de « travailleur » et non celui d’« entrepreneur ».

Autre point important : cette catégorie dite « non-salarié dépendant », utilisé seulement à des fins statistiques, ne limite en aucune manière ni ne détermine la façon dont la politique gouvernementale répondra aux préoccupations de ces travailleurs.

De plus, sur le plan international, les non-salariés dépendants à domicile sont couverts par la Convention 177 de l’OIT sur le travail à domicile et sont reconnus comme des travailleurs pouvant jouir de tous les droits dont jouit un salarié. Cet élément doit être souligné systématiquement.

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Une travailleuse à domicile utilise sa machine à coudre dans l’entrée de son domicile à Delhi, en Inde. Photo : R. Choudhary

Que pouvons-nous faire, en tant que parties prenantes, pour soutenir l’inclusion et la sécurité des travailleurs à domicile ? 

Toutes les parties prenantes (organisations et réseaux de travailleurs à domicile, syndicats traditionnels, praticiens du développement, statisticiens et universitaires) peuvent contribuer à faire connaître le terme de « non-salarié dépendant » et l’utilité de s’en servir dans la collecte de données sur les travailleurs sous-traitants à domicile rémunérés à la pièce, aux fins de plaidoyer.

Les statisticiens et les systèmes statistiques peuvent s’assurer que les données sur les « travailleurs à domicile » sont saisies comme une sous-catégorie distincte de la méta-catégorie de non-salarié dépendant.

Partant de ces données, et dans la mesure où les gouvernements se soucient de la sécurité et de l’autonomisation des travailleurs à domicile, ils peuvent légiférer, planifier et établir leurs programmes dans ce sens.

Ce document a été élaboré avec la participation de WIEGO.

Références :

Conférence internationale des statisticiens du travail (CIST 2018) : Document de séance 6 : Définition et mesure statistiques de l’emploi « indépendant » en situation de dépendance. Raisons justifiant la proposant de création d’une catégorie statistique de non-salariés dépendants

20e Conférence internationale des statisticiens du travail, OIT, Genève, 10-19 octobre 2018 — Résolution concernant les statistiques sur les relations de travail

 Photo vedette : R. Choudhary

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