Les statistiques comme catalyseur de la visibilité des travailleuses

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Renana Jhabvala, co-founder of SEWA and former chair of WIEGO
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WIEGO

Dans cette interview, Renana Jhabvala, cofondatrice de SEWA et ancienne présidente de WIEGO, évoque la relation historique entre les deux organisations et l’impact positif de la collecte de données et des statistiques sur le travail des femmes en Inde et ailleurs.


Fondée en 1972 en Inde, l’Association des Femmes Indépendantes (SEWA) a tout de suite identifié la nécessité de collecter des données sur les femmes travaillant dans l’économie informelle, à une époque où ces travailleuses étaient encore totalement invisibles, que ce soit dans les statistiques ou dans les politiques publiques.

SEWA travaille avec des femmes issues de différents secteurs : des vendeuses de rue dans les zones urbaines et rurales, des femmes vendant leur force de travail et leurs services, des petites entrepreneuses à domicile ou encore des productrices rurales.


SEWA et WIEGO travaillent ensemble pour améliorer les statistiques sur l’emploi informel

Même si SEWA avait commencé à collecter des données, il était toujours préoccupant de constater que l’on accordait peu de valeur à la contribution faite par les travailleuse·eur·s de l’informel, en particulier par les femmes, aux économies nationales. Étant donné qu’il s’agit d’une source d’emploi importante pour les femmes, SEWA plaide depuis longtemps pour l’adoption de politiques de soutien au travail à domicile. Au milieu des années 1990, avec d’autres organisations de travailleuse·eur·s à domicile, SEWA a commencé à faire campagne pour l’adoption d’une norme internationale sur le travail non-salarié dépendant à domicile auprès de la Conférence internationale du Travail (CIT). Face à l’opposition des groupes d’employeuse·eur·s, la fondatrice de SEWA, Ela Bhatt, était convaincue que la campagne devait s’appuyer sur des statistiques pour mettre en évidence l’importance du travail à domicile. Elle a demandé l’aide de Marty Chen (cofondatrice et ancienne coordinatrice internationale de WIEGO) et de ses collègues pour compiler toutes les données possibles sur le travail à domicile. SEWA et les organisations de travailleuse·eur·s à domicile ont utilisé ces statistiques pour convaincre les délégué·e·s à la CIT que les travailleuse·eur·s à domicile constituent une partie importante de la population occupée. Ainsi, la Convention internationale (nº 177) sur le travail à domicile a été adoptée en 1996, ce qui a constitué une grande victoire pour les travailleuse·eur·s de l’informel.

C’est le succès du plaidoyer en faveur de la Convention de l’OIT sur le travail à domicile qui a semé la graine pour la création de WIEGO. Conscient·e·s de l’importance de travailler ensemble, des représentantes de SEWA et d’autres expert·e·s de l’économie informelle issu·e·s des milieux de l’activisme, de la recherche et des statistiques ont formé, en 1997, le réseau mondial Femmes dans l’emploi informel : Globalisation et Organisation (WIEGO). L’élaboration de statistiques sur l’économie informelle a été — elle l’est toujours — l’une des missions principales de WIEGO.

Au fil des années, SEWA et WIEGO ont continué de travailler ensemble pour améliorer les statistiques sur les travailleuse·eur·s de l’informel. SEWA a demandé au gouvernement indien d’inclure l’équipe statistique de WIEGO dans un comité mis en place pour recueillir des informations dans le but d’éclairer les politiques publiques sur le travail informel. L’intention était de modifier les questionnaires pour collecter des données et faciliter l’atteinte d’effets qui reflètent mieux les besoins des travailleuse·eur·s de l’économie informelle.

Le travail statistique de SEWA a été tellement révolutionnaire que « nous avons également pu influencer l’OIT et maintenant de nombreux pays recensent ces informations sur l’économie informelle », se souvient Jhabvala.


Créer et documenter l’impact grâce à une relation « symbiotique » entre les travailleuse·eur·s, des activistes et des chercheuse·eur·s

« Nous avons réalisé un certain nombre de [projets de] recherche avec WIEGO, dont le plus récent [visait à comprendre] l’impact de la COVID-19 sur les femmes de l’économie informelle. Par ailleurs, de nombreuses études de cas ont été réalisées par SEWA et ont été intégrées à [la série de publications de] WIEGO ».

Le travail pour faire gagner en visibilité les travailleuse·eur·s de l’économie informelle, combiné à la défense de leurs intérêts, a parfois débouché sur des politiques qui bénéficient directement aux travailleuse·eur·s. La loi indienne de 2014 sur les vendeuse·eur·s de rue, qui protège les droits des vendeuse·eur·s et réglemente les activités de vente dans les espaces publics, en est un exemple.

Jhabvala explique comment WIEGO et SEWA ont réussi à travailler ensemble dans une relation symbiotique : « Nous soumettons un problème à WIEGO, qui le diffuse ensuite au niveau international par des réseaux de chercheuse·eur·s ou [… par des entités] comme la Banque mondiale ou la Conférence internationale du Travail, ce qui accorde alors plus d’importance à ce problème aux yeux du Gouvernement de l’Inde. »


Développer et rassembler les organisations de travailleuse·eur·s de l’informel à travers les frontières

SEWA, tout comme WIEGO, a soutenu la création de réseaux internationaux de travailleuse·eur·s de l’économie informelle : « Nous avons réalisé que les travailleuse·eur·s de l’informel étaient confronté·e·s aux mêmes problèmes partout dans le monde et que les politiques nationales de l’Inde étaient de plus en plus affectées par le droit international. Il était donc crucial pour nous de nous impliquer dans la scène internationale », a déclaré Jhabvala. Aujourd’hui, il existe des réseaux mondiaux de travailleuses domestiques, de travailleuse·eur·s à domicile, de vendeuse·eur·s de rue et de récupératrice·eur·s de matériaux.

Selon la dirigeante syndicale, la portée internationale du réseau WIEGO a profité à SEWA de manière cruciale.

« Beaucoup de nos membres ont gagné en visibilité grâce à WIEGO, ce qui améliore par la suite la compréhension des problèmes à l’étranger et parfois [elles·ils] trouvent également des solutions, comme lorsque des vendeuse·eur·s de rue se sont rendu·e·s en Thaïlande pour reproduire le type de charrettes que leurs camarades utilisent là-bas ».


Organiser et améliorer les politiques pour les travailleuses : quelles priorités à l’avenir pour SEWA ?

Pour l’avenir, Renana Jhabvala insiste sur la nécessité de continuer à plaider en faveur de meilleures politiques de soutien aux travailleuses : « Le travail des femmes est toujours invisibilisé et moins bien rémunéré. Il y a aussi de nouvelles générations avec des niveaux d’alphabétisation et de scolarité plus élevés (tout le monde a maintenant l’école primaire et de nombreuses filles ont atteint l’enseignement secondaire ou universitaire), mais qui ne peuvent pas entrer sur le marché du travail ».

Avec une base toujours plus grandissante de plus de 2,5 millions de femmes indépendantes démunies travaillant dans l’économie informelle et venant de 18 États de l’Inde, Jhabvala espère encore atteindre de nouvelles régions du pays à l’avenir. « Nous nous sommes répandues dans toutes les régions de l’Inde parce que nous savons comment amener les femmes à se considérer comme des travailleuses et à vouloir rejoindre un mouvement ».


Photo du haut : Renana Jhabvala, cofondatrice de SEWA et ancienne présidente de WIEGO
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