Les récupératrice·eur·s de matériaux et la REP en Inde

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Sangeeta Ben walks her daily route working as a waste picker in an Ahmedabad slum
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Par
Roopa Madhav

Le concept de Responsabilité élargie des producteurs (REP) dans le cadre de l’économie circulaire transfère la responsabilité de la gestion des déchets des autorités municipales aux producteurs des déchets, avec le soutien des recycleuse·eur·s et des détaillant·e·s. Cependant, malgré le rôle fondamental que pourraient jouer les travailleuse·eur·s de l’informel qui récupèrent et trient les déchets dans un tel système, elles·ils ne sont même pas mentionné·e·s dans la politique sur la REP en Inde. Cet article du blog analyse la démarche à suivre pour s’approcher de leur inclusion ainsi que pour protéger leurs moyens de subsistance au sein de ce système changeant.


En tant que travailleuse·eur·s de l’environnement, les récupératrice·eur·s de matériaux fournissent un service extraordinaire lorsqu’elles·ils collectent, trient et récupèrent des matériaux qui, autrement, seraient jetés dans des sites d’enfouissement. Et pourtant, elles·ils ne sont presque jamais pris en considération lors des discussions sur les politiques et les réglementations. En l’absence d’engagement, l’Alliance internationale des récupératrice·eur·s (IAWP) a identifié que la plupart des cadres et des politiques sur la REP peinent à mettre le focus sur la problématique des moyens de subsistance des travailleuse·eur·s du secteur de la gestion des déchets plastiques et solides et des chaînes de valeur de la production et du recyclage du plastique. Seuls les aspects économiques et environnementaux y sont mentionnés.


La REP et la pollution plastique

Au cours des années, la pollution plastique est montée en flèche, aggravant le changement climatique et la réduction de la biodiversité qui en découle, et sa production globale est actuellement estimée à 522,6 milliards de dollars. Les effets négatifs des plastiques sont bien documentés : l’exposition aux plastiques nuit à la santé humaine, l’incinération des déchets contribue à la pollution de l’air et l’ingestion de plastiques par les animaux marins constitue un vrai danger pour l’écosystème.

Au sein d’une économie circulaire, les matériaux sont réutilisés ou recyclés, ce qui implique de passer d’un modèle de production linéaire à un modèle circulaire. Concevoir une économie durable exige pourtant de créer des emplois justes et verts qui étayent les presque 20 millions de travailleuse·eur·s du secteur des déchets. Il est estimé que, jusqu’en 2015, environ 6 300 millions de tonnes de déchets plastiques ont été produits dans le monde, dont presque 80 % ont été accumulés dans des sites d’enfouissement ou dans la nature. Les autorités locales ont du mal à gérer les déchets plastiques, et c’est pour cela que les récupératrice·eur·s jouent un rôle central dans le système de gestion des déchets. Le mécanisme de REP responsabilise les producteurs de la réduction de la pollution plastique, mais il ne concerne que les grandes unités de recyclage, sans tenir compte de l’ensemble de la population occupée dans la transformation des déchets en matériaux recyclables. Dans ce contexte, il faut repenser la formulation des réglementations de REP, tout en analysant comment intégrer les récupératrice·eur·s de matériaux dans le nouveau cadre légal.

En mars 2022, des représentant·e·s de 175 pays ont soutenu une résolution historique de l’Assemblée des Nations unies pour l’environnement qui prône de mettre un point final à la pollution plastique et d’ébaucher un accord international juridiquement contraignant, un Traité sur les plastiques, d’ici 2024. Dans son discours à l’Assemblée des Nations unies pour l’environnement à Nairobi, la représentante de l’IAWP – appelée à l’époque Alliance mondiale des récupératrice·eur·s –, Soledad Mella, a exprimé les inquiétudes des récupératrice·eur·s de matériaux à propos de cet accord : « Nous sommes le visage du recyclage dans le monde, nous sommes les mains qui nettoient le monde, nous sommes les véritables héroïnes et héros de la planète et rien de ce que vous tentez de faire sans les récupératrice·eur·s ne marchera ».


La REP en Inde

En Inde, la réglementation concernant les plastiques est la Loi sur la protection de l’environnement (EPA) de 1986. Le ministère de l’Environnement, des forêts et du changement climatique, celui en charge de la loi EPA, a établi plusieurs dispositions dans le cadre de la loi pour traiter les questions relatives à la fabrication, à l’utilisation, à la manipulation et à la gestion des plastiques, parmi lesquelles se trouvent :

  • Les Règles pour la fabrication et l’utilisation des plastiques recyclés, 1999 ;
  • Les Règles de gestion des déchets plastiques, 2016, qui ont remplacé les Règles (de gestion et de manipulation) des déchets plastiques, 2011.

Malgré ces dispositions, un rapport de 2015 du Conseil central de contrôle de la pollution (CPCB) note que l’Inde a généré, entre 2010 et 2012, 25 940 tonnes de déchets plastiques par jour, dont presque 40 % ne sont pas collectés et donc bloquent les canalisations et polluent les sources d’eau et la terre.

En 2016, les Lignes directrices sur la responsabilité élargie des producteurs pour les emballages plastiques ont été publiées. En février 2022, elles ont été modifiées pour accélérer le retrait des plastiques à usage unique. Ces nouveaux principes autorisent la vente et l’achat de certificats de REP en surplus, permettant ainsi la mise en place d’un mécanisme d’échange dans le cadre du système de gestion des plastiques.

Ils fournissent un cadre pour renforcer l’économie circulaire des déchets d’emballages plastiques, promouvoir le développement de nouvelles alternatives au plastique et proposer des pistes pour l’adoption d’emballages plastiques durables par les entreprises. Ces lignes directrices ne définissent pas l’approche à adopter pour se conformer à la loi, mais encouragent les producteurs, les importateurs et les propriétaires de marques à adopter les modèles qui leur conviennent le mieux. Ceux-ci vont d’un système de consigne à des modèles de rachat et tout autre modèle qui incite à la séparation et à la collecte des déchets plastiques. Si la flexibilité offerte par les lignes directrices permet à l’industrie et aux producteurs d’innover dans la lutte contre les déchets, elle n’incite pas à intégrer les récupératrice·eur·s de matériaux et les acheteuse·eur·s itinérant·e·s dans les modèles linéaires existants de manière à protéger leurs moyens de subsistance. Elles envisagent un système parallèle de collecte des déchets plastiques et laissent présager un déplacement à grande échelle des acteurs actuels de la chaîne de valeur du recyclage, au premier rang desquels figurent les récupératrice·eur·s de matériaux.


La REP, l’économie circulaire et les récupératrice·eur·s de matériaux : intégrer l’armée verte

L’intégration des récupératrice·eur·s de matériaux dans les structures de REP est une demande de longue date des organisations, des organisations de base et des syndicats travaillant dans le secteur des déchets et du recyclage. Mais le premier pas devrait être de reconnaître les récupératrice·eur·s de matériaux dans les lois et les politiques comme étant des travailleuse·eur·s légitimes du secteur des déchets.

La reconnaissance est un aspect essentiel que les lignes directrices doivent aborder, mais il existe deux autres façons de repenser le rôle des récupératrice·eur·s dans le régime de REP : (i) repenser le mécanisme des organisations assurant la responsabilité des producteurs (éco-organismes) afin d’inclure les récupératrice·eur·s de matériaux et les autres travailleuse·eur·s du secteur informel du recyclage des déchets, en tant que collectifs de l’économie sociale et solidaire ; et (ii) éduquer et engager les producteurs à soutenir les récupératrice·eur·s et les autres travailleuse·eur·s du secteur informel des déchets dans leurs efforts de gestion du flux de déchets.


Les collectifs des récupératrice·eur·s de matériaux comme des coopératives de l’économie sociale et solidaire

Au sein du mécanisme de la REP, les éco-organismes jouent un rôle actif dans la gestion du flux de recyclage au nom des producteurs. Le schéma donne donc l’occasion aux récupératrice·eur·s de matériaux et aux acheteuse·eur·s itinérant·e·s d’occuper ce rôle dans le système de REP en s’inscrivant en tant qu’éco-organisme.

L’expérience des coopératives de récupératrice·eur·s de matériaux à succès, telles que SWACH en Inde, fournit une feuille de route pour la mise en place et la gestion d’une infrastructure efficace avec les coopératives de récupératrice·eur·s en tant que partie intégrante du flux de déchets, y compris en collaborant avec les producteurs dans le cadre du régime de REP. Les coopératives de récupératrice·eur·s et d’autres organisations de base pourraient être encouragées, par la formation et la création de marchés, à ajouter de la valeur à travers le recyclage ou d’autres modes de diversification afin d’améliorer leurs résultats et de créer un meilleur flux de revenus, soutenant ainsi les moyens de subsistance dans le secteur. Dans le cadre du modèle de transition juste, les emplois verts doivent être abordés de manière intégrale par les autorités locales, les gouvernements nationaux, les organisations de producteurs et les coopératives de récupératrice·eur·s. Les expériences réussies dans le flux des plastiques pourraient ensuite être répliquées dans d’autres flux de déchets, tels que les déchets électroniques ou les déchets alimentaires.


La formation des producteurs et l’engagement en faveur de systèmes inclusifs

Dans le cadre du système de REP, le gouvernement indien a lancé une série de programmes de formation visant à renforcer l’engagement des producteurs, mais ces derniers ne mettent pas l’accent sur l’instauration d’un dialogue avec les acteurs existants du flux de déchets. Il peut être intéressant pour les organisations de la société civile, les syndicats et les organisations de base de créer des réseaux qui favorisent l’engagement et le dialogue des producteurs dans le but de construire un système inclusif.

Le chemin à suivre consiste à repenser le cadre d’action de la REP afin de promouvoir davantage l’inclusion de toutes les parties intéressées existantes et de l’ancrer dans les autorités municipales locales. Les innovations que les organisations de producteurs envisagent pour se conformer à leurs obligations en vertu des lignes directrices devraient également inclure les coopératives de l’économie sociale et solidaire, en tant qu’organisations alternatives potentielles qui soutiennent les moyens de subsistance des récupératrice·eur·s de matériaux et des acheteuse·eur·s itinérant·e·s de déchets municipaux.


Photo du haut : Sangeeta Ben fait son chemin quotidien en tant que récupératrice de matériaux à Ahmedabad, en Inde. Elle fournit un service de collecte porte à porte essentiel pour 240 foyers et un hôpital dans le quartier. Crédit photo : Paula Bronstein/Getty Images Reportage
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