La loi indienne sur la protection des vendeuse·eur·s de rue : une bonne loi sur le papier, mais dans les faits ?

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Choral Mauladia poses near her cart where she sells vegetables at a local market
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Par
Roopa Madhav

La Loi sur la protection des vendeuse·eur·s de rue de l’Inde est largement saluée pour avoir été, entre autres, la première loi d’habilitation garantissant la représentation effective des vendeuse·eur·s de rue dans le processus décisionnel. Pourtant, un examen attentif près de dix ans plus tard montre que sa mise en œuvre est loin d’être exemplaire.

La loi (sur la protection des moyens de subsistance et la réglementation) des vendeuse·eur·s de rue a été adoptée en 2014, au terme d’une longue lutte. Elle est souvent considérée comme un exemple à suivre dans d’autres régions du monde. En plus d’offrir une reconnaissance juridique aux vendeuse·eur·s de rue, elle interdit les expulsions et les délocalisations non conformes à la procédure officielle.1

En août 2021, la Commission permanente du Parlement pour le développement urbain de l’Inde a soumis un rapport à celui-ci sur l’exécution de cette loi. Le rapport contient des données révélant une mise en œuvre seulement partielle. 

L’une des principales raisons qui ont conduit la commission à examiner les dispositions de la loi était l’introduction du programme Pradhan Mantri Street Vendor’s AtmaNirbhar Nidhi (PM SVANidhi), lequel accorde des prêts aux vendeuse·eur·s de rue. Ce programme a pris de l’importance dans les efforts de récupération de l’après-Covid-19. Il n’est accessible qu’aux bénéficiaires des États et des territoires de l’Union qui ont promulgué des règles et des programmes en vertu de la loi sur la protection des vendeuse·eur·s de rue. L’Inde compte 28 États et huit territoires de l’Union. Bien qu’il n’existe pas de données fiables sur l’ampleur de la vente de rue en Inde (une estimation la chiffre à 10 millions), le processus de certification prévu par la loi peut donner quelques estimations crédibles. 

Parmi les mesures correctives recommandées par la Commission permanente du Parlement en matière d’exécution, les suivantes sont dignes de mention :

  • La création de zones modèles de vente de rue.
  • Dans le but de mettre fin au harcèlement policier et à l’expulsion non autorisée des vendeuse·eur·s de rue, les ministères concernés devraient inclure la loi sur les vendeuse·eur·s de rue dans les programmes de formation des agents de la force publique.
  • Le ministère du Logement et des Affaires urbaines devrait se voir confier un rôle de contrôle global afin d’assurer que les États et les territoires de l’Union accordent aux vendeuse·eur·s de rue la représentation obligatoire de 40 % au sein des Comités municipaux de vente de rue.

Une fois qu’un Comité municipal de vente de rue est constitué en vertu de la loi, il est responsable du bon fonctionnement de la vente de rue dans la ville en question. Ses tâches comprennent la délivrance de certificats de vente de rue et la préparation du plan de vente en ville. Ce plan consiste principalement à créer des infrastructures pour les zones de vente de rue et à délimiter celles-ci. Trois types de zones sont autorisés : des zones de vente de rue (où les vendeuse·eur·s de rue peuvent vendre pendant 24 heures), des zones de vente de rue partielle (avec des périodes limitées pendant lesquelles la vente est autorisée) et des zones où la vente de rue est interdite.

La Commission permanente du Parlement a notamment constaté que, sur 4 372 villes, seulement 1 169 d’entre elles avaient établi des plans pour la vente de rue.

Le rapport note également que la mise en place des Comités municipaux de vente de rue n’est pas satisfaisante. D’après les données du ministère du Logement et des Affaires urbaines, seuls 17 États ou territoires de l’Union ont instauré ces comités dans toutes les villes répondant aux conditions, 14 les ont instaurés dans 50 à 99 % des villes admissibles et deux les ont mis en place dans moins de la moitié des villes éligibles.

Les préoccupations concernant les Comités municipaux de vente de rue, soulevées par les organisations des parties intéressées lors des comparutions devant la Commission permanente du Parlement, portaient notamment sur le fait que les vendeuse·eur·s de rue sont contraint·e·s de signer des documents sans avoir la possibilité de les lire, c’est-à-dire sans suivre la procédure appropriée ; ainsi que sur la non-distribution ou l’absence d’un ordre du jour. Les associations de vendeuse·eur·s de rue ont souligné l’expulsion et le harcèlement de ses membres par la police et par les autorités locales.

Parmi les autres aspects préoccupants soulevés dans le rapport, on trouve le fait que les infrastructures de base – telles que les toilettes, l’eau et les abris contre les intempéries – ne sont pas fournies aux vendeuse·eur·s de rue dans de nombreuses zones de vente.

Quelques recommandations formulées par la Commission permanente du Parlement exigent un débat plus approfondi avec les organisations de vendeuse·eur·s de rue afin de déterminer si ces recommandations servent leurs intérêts. Par exemple, il est recommandé que les zones de vente de rue soient développées sur un modèle de partenariat public-privé et qu’il y ait une plus grande intégration dans le processus de planification de Smart-city.

Mais trois suggestions ressortent comme essentielles pour progresser :

  • La mise en place d’une base de données centralisée contenant les cas d’expulsion et de délocalisation des vendeuse·eur·s de rue, ce qui servirait l’élaboration des politiques.
  • Conseiller aux collectivités locales urbaines (Urban Local Bodies) d’identifier des espaces inoccupés près des parcs ou des centres communautaires, par exemple, et de délimiter ces espaces et les déclarer comme des zones de vente de rue ou des marchés, ce qui permettrait de créer un potentiel commercial pour les vendeuse·eur·s de rue. Le rapport note aussi que les zones de vente éloignées des villes sont un gaspillage de ressources.
  • La suppression du plafond sur le nombre de vendeuse·eur·s de rue. La loi recommande que le nombre de vendeuse·eur·s de rue soit limité à 2,5 % de la population d’un quartier, une zone, une ville ou une agglomération. Étant donné que ce plafond est nettement inadéquat dans les villes très étendues et très peuplées, telles que Mumbai et Delhi, qui sont des centres d’activité économique, le rapport exhorte le ministère du Logement et des Affaires urbaines à étudier la possibilité de revoir ce plafond.

Le rapport de la Commission permanente du Parlement fournit un aperçu utile de l’état d’avancement de la mise en œuvre de la loi à l’échelle nationale. Cependant, les défis posés par les réalités vécues – à la fois pour les vendeuse·eur·s de rue et pour les autorités municipales – ne sont pas correctement saisis. Des études spécifiques à chaque État, impliquant les vendeuse·eur·s de rue, les autorités locales et les expert·e·s approprié·e·s, seraient cruciales à cet égard.


1 SEWA. 2014. Street Vendors’ Laws and Legal Issues in India. [La législation et les problèmes juridiques des vendeuse·eur·s de rue en Inde]. Ressources de WIEGO sur le droit et l’informalité. Cambridge, MA, États-Unis : WIEGO.


Photo : Choral Mauladia près de son chariot où elle vend des légumes sur un marché local. Crédit : Paula Bronstein/Getty Images/Images of Empowerment
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