L’Argentine fait face à une crise économique majeure. L’inflation monte en flèche, la pauvreté augmente et les politiques gouvernementales démantèlent des protections sociales essentielles, laissant des millions de travailleuse·eur·s de l’informel dans la détresse.

L’un des aspects particulièrement dommageables de ces coupes budgétaires est la destruction du Monotributo social, une mesure considérée comme une bonne pratique au niveau international pour formaliser l’emploi et offrir une protection sociale aux travailleuse·eur·s de l’informel les plus démuni·e·s.

Une crise croissante qui frappe de plein fouet les plus démuni·e·s

Depuis sa prise de fonctions, le président Javier Milei a pris des mesures économiques drastiques, notamment la dévaluation du peso argentin, entraînant une inflation supérieure à 300 % en 2024. Les prix de l’essence ont doublé et ceux des denrées alimentaires ont augmenté de 50 %.

Les salaires et les retraites n’ont pas augmenté au même rythme, ce qui a provoqué une forte baisse du pouvoir d’achat. Le salaire minimum a subi une dépréciation de près de 30 % entre novembre 2023 et mai 2024. Les travailleuse·eur·s de l’informel ont été les plus durement affecté·e·s. Compte tenu de l’inflation, leurs revenus ont diminué de 22 % au premier trimestre 2024, contre une baisse de 14 % pour les travailleuse·eur·s du formel. Les femmes ont été particulièrement touchées, car elles sont surreprésentées dans les emplois à faible rémunération et informels, où l’écart de salaire entre les genres est encore plus important.

Ainsi, les taux de pauvreté se sont envolés. En septembre 2024, plus de la moitié des Argentin·e·s vivaient dans la pauvreté, selon l’agence statistique argentine Indec, contre un peu plus de 40 % au second semestre 2023.

Alors que l’économie a commencé à se reprendre, grâce à une baisse de l’inflation et à une augmentation des salaires, nombreuses sont les personnes qui ont été plongées dans la pauvreté par la crise économique et les coupures dans les programmes sociaux. Faute de programmes sociaux et du travail adéquats, les personnes les plus démunies seront laissées de côté.

Démantèlement de la protection sociale et des politiques du travail inclusives

Avant le gouvernement Milei, les politiques sociales et du travail reconnaissaient le travail essentiel des travailleuse·eur·s de l’informel, en particulier dans les secteurs du soin, de l’écologie et du social, et veillaient à ce que leur contribution soit valorisée et soutenue. Cependant, le gouvernement actuel a non seulement désarticulé des programmes de protection sociale, mais a également supprimé des politiques du travail inclusives qui reconnaissaient l’importance du travail de soins, écologique et social dans l’économie informelle.

Le démantèlement du régime Monotributo social – un système conçu pour aider les travailleuse·eur·s de l’informel à passer à l’économie formelle tout en bénéficiant d’une couverture santé et retraite – a laissé des centaines de milliers de personnes sans protection.

Auparavant, le gouvernement subventionnait intégralement le régime fiscal du Monotributo social. Mais en octobre 2024, le gouvernement a commencé à exiger que les travailleuse·eur·s de l’informel démuni·e·s paient 50 % de leurs cotisations sociales de leur poche. En quelques semaines, 406 000 travailleuse·eur·s ont abandonné le système, perdant ainsi leur accès à des prestations sociales fondamentales, telles que les soins de santé et la retraite, et voyant leur voie vers l’économie formelle bloquée.

Le gouvernement a également mis fin au programme Potenciar Trabajo, qui fournissait une aide au revenu directe et des subventions aux coopératives des travailleuse·eur·s et aux organisations communautaires. Ce programme non seulement complétait les revenus des travailleuse·eur·s de l’informel, mais renforçait également l’idée que leur travail apporte une contribution significative à la société.

Deux nouveaux programmes, Programa Acompañamiento Social (PAS) et Volver al Trabajo (VAT), ont été mis en place pour remplacer Potenciar Trabajo. Or, le PAS n’offre qu’une aide financière minimale, tandis que le VAT n’a que peu contribué à trouver des emplois stables aux travailleuse·eur·s. Selon des rapports officiels, seules 152 personnes ont réussi à trouver un emploi formel grâce au programme VAT, alors que plus d’un million de travailleuse·eur·s y ont été intégré·e·s.

La suppression de prestations supplémentaires, telles que Nexo et Plus Sociocomunitario, a encore aggravé la situation des travailleuse·eur·s de l’informel. Ces programmes offraient un soutien financier aux personnes engagées dans le travail social et communautaire, notamment les services de soins, la distribution alimentaire et la collecte des déchets. En supprimant ces programmes, le gouvernement ne tient pas compte de la contribution précieuse des travailleuse·eur·s de l’informel à l’aide sociale et à la durabilité environnementale.

Un gouvernement qui refuse d’écouter

Même dans le cadre de ces changements dévastateurs, le gouvernement refuse de dialoguer avec les organisations de la société civile, les syndicats et les groupes communautaires. Les tentatives répétées de l’Union des travailleuse·eur·s de l’économie populaire (UTEP) et de WIEGO pour obtenir une rencontre avec des représentant·e·s du ministère du Capital humain ont été ignorées. Il n’existe actuellement aucun mécanisme officiel permettant d’établir un dialogue entre l’État et les organisations des travailleuse·eur·s, ce qui laisse les communautés touchées sans voix dans l’élaboration des politiques.

Recours aux organismes régionaux compétents en matière de droits humains

Les organisations des travailleuse·eur·s ont eu recours aux mécanismes régionaux de défense des droits humains pour trouver de l’aide. Le 14 novembre 2024, l’UTEP, le Centre d’études juridiques et sociales (CELS) et WIEGO ont participé à une audience publique tenue par la Commission interaméricaine des droits humains (CIDH), au cours de laquelle il a été souligné que le démantèlement des protections sociales violait les droits des travailleuse·eur·s de l’informel d’Argentine.

Ces organisations ont aussi exhorté collectivement la CIDH à demander au gouvernement argentin de prendre des mesures immédiates pour atténuer les souffrances des travailleuse·eur·s de l’informel. Voici ce qu’elles exigent du gouvernement :

  1. Le rétablissement et l’extension des programmes de protection sociale destinés aux travailleuse·eur·s de l’informel afin que leur contribution soit reconnue, que leur transition vers l’économie formelle soit favorisée et que leur accès à la sécurité sociale et aux prestations de santé soit garanti. Le gouvernement argentin devrait immédiatement rétablir la subvention du Monotributo social pour les travailleuse·eur·s à faibles revenus, ainsi que les programmes Potenciar Trabajo, Nexo, Plus Sociocomunitario et Argentina Recicla.
  2. Le respect de la législation internationale relative aux droits humains qui interdit toute « régression » délibérée en matière de sécurité sociale. L’Argentine doit respecter ses engagements, en particulier ceux pris au titre du Protocole additionnel à la Convention américaine sur les droits humains dans le domaine des droits économiques, sociaux et culturels (Protocole de San Salvador), du Pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels, ainsi que des normes internationales du Travail de l’OIT. Ces instruments obligent l’État à concrétiser progressivement le droit à la sécurité sociale et aux soins de santé pour toutes et tous. Le démantèlement injustifié des droits acquis en matière de protection sociale est contraire à cette obligation.
  3. Le respect des décisions des tribunaux imposant la distribution de denrées alimentaires aux personnes démunies.
  4. Le renforcement des mécanismes de dialogue social. Des instances institutionnelles de consultation des organisations des travailleuse·eur·s doivent être créées afin de garantir que les travailleuse·eur·s de l’informel puissent faire entendre leur voix dans l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques sociales et du travail.

Appel collectif à une action urgente

La crise en Argentine est une situation d’urgence en matière de droits humains. Elle se traduit par des violations du droit au travail, du droit à la sécurité sociale, du droit à une vie digne, du droit à une alimentation suffisante et d’autres droits. Tel que WIEGO, l’UTEP et le CELS l’ont collectivement demandé lors de l’audience : le gouvernement doit agir dès maintenant pour protéger les travailleuse·eur·s de l’informel, mettre fin aux discours qui les stigmatisent et rétablir les protections sociales. Il faut rappeler l’importance des contributions sociales, environnementales et économiques des travailleuse·eur·s de l’informel en rétablissant des mesures de protection sociale et des politiques du travail inclusives qui reconnaissent et soutiennent leur rôle essentiel. La communauté internationale doit soutenir ces revendications collectives, exiger des changements et faire preuve de solidarité envers les travailleuse·eur·s de l’informel de l’Argentine dans leur lutte pour la justice et la sécurité.

Photo : Des récupératrice·eur·s de matériaux du MTE et de l’UTEP face au Congrès à Buenos Aires, en Argentine. Crédit photo : UTEP
* Macarena Funes est avocate auprès de l’UTEP.