Suivi des travailleuse·eur·s à domicile en Éthiopie et au Kenya

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Home-based worker in Kenya
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Vanessa Pillay, Edwin Bett

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Dans divers pays africains, les filières locales, en l’occurrence celles du textile et du vêtement, sont en passe de connaître une croissance axée sur l’exportation et les travailleuse·eur·s à domicile vont probablement se voir intégré·e·s à un maillon de la chaîne de valeur. Dans ce contexte, et pour s’assurer que les travailleuse·eur·s sont organisé·e·s dans la lutte en faveur de leur reconnaissance et de leurs droits en tant que tel·le·s, un mouvement fort, animé par les travailleuse·eur·s à domicile dans la région, est nécessaire.

En effet, ayant su former des organisations nationales, régionales et mondiales, les travailleuse·eur·s à domicile du monde entier se donnent la main pour améliorer leurs moyens de subsistance et amplifier leurs appels revendiquant la reconnaissance et les droits des travailleuse·eur·s. En Afrique, plus particulièrement, on assiste à l’émergence d’un réseau régional de travailleuse·eur·s à domicile, sous l’impulsion de groupes de travailleuse·eur·s en Éthiopie, au Kenya, en Afrique du Sud, en Tanzanie et en Ouganda, qui s’unissent dans le but de gagner en visibilité et de se faire entendre collectivement. Dans le même temps, des réseaux nationaux, tant formels qu’informels, se constituent avec la mise en place de groupes de travail actifs en Ouganda, en Tanzanie et au Kenya.

Amorçant son soutien au réseau régional africain regroupant les organisations de travailleuse·eur·s à domicile, un réseau émergent, WIEGO a entrepris en Éthiopie et au Kenya la cartographie de ces organisations dans l’industrie du vêtement et du textile. Ce travail d’inventaire s’inscrit dans le cadre du « Home-based Workers Organizing for Economic Empowerment » (Mobilisation des travailleuse·eur·s à domicile pour l’autonomisation économique), projet que poursuit WIEGO grâce aux fonds accordés par le Bureau des affaires étrangères, du Commonwealth et du développement du Royaume-Uni (FCDO, anciennement DFID) au titre de son programme « Work Opportunities for Women » (Possibilités d’emploi pour les femmes).

L’objectif de cette étude, après avoir recensé les groupes ou organisations de travailleuse·eur·s à domicile dans l’industrie du vêtement et du textile, ainsi que les organismes, s’il en est, qui soutiennent les travailleuse·eur·s à domicile, consiste à rassembler des informations et témoignages sur la manière dont ces groupes s’organisent et à faire état, d’une part, des principaux problèmes qui les touchent en tant que travailleuse·eur·s et, d’autre part, de leurs relations avec les chaînes d’approvisionnement mondiales nationales et mondiales du vêtement et du textile.

Travailleuse·eur·s « invisibles »

Les travailleuse·eur·s à domicile sont souvent « invisibles » du fait que leur travail ou activité, soit la couture de vêtements, le tissage, la transformation de produits alimentaires, la réparation automobile et mécanique, ou encore le travail de bureau et professionnel, se déroule à domicile, dans la sphère confinée de leur maison. 

Notre travail cartographique s’est porté exclusivement sur les travailleuse·eur·s dans l’industrie du vêtement et du textile, réparti·e·s en deux catégories : d’un côté, les travailleuse·eur·s à domicile autonomes qui assument tous les frais (matières premières, fournitures, équipements, services publics et transport) et vendent elles·eux-mêmes leurs produits, endossant donc tous les risques financiers de la production. De l’autre côté se trouvent les travailleuse·eur·s à domicile, fort nombreuse·eux d’ailleurs, appelé·e·s « travailleuse·eur·s externes », qui produisent en sous-traitance, pour le compte de chaînes de valeur nationales et mondiales, et qui sont payé·e·s à la pièce.

Comme les entreprises veulent réduire leurs coûts et maximiser leurs profits, les travailleuse·eur·s externes, qui travaillent à domicile, se voient confier, souvent par le biais d’un intermédiaire, des contrats qui, même s’ils leur enlèvent le coût des matières premières, leur font assumer néanmoins les frais de production. Bien que ces deux catégories de travailleuse·eur·s à domicile connaissent des défis différents, qui nécessitent des interventions spécifiques en termes de politique, beaucoup d’entre elles·eux se retrouvent dans les deux catégories selon les contrats de travail qui leur sont proposés.

Cartographie des travailleuse·eur·s à domicile dans l’industrie du vêtement et du textile en Éthiopie et au Kenya : leçons à retenir

En Éthiopie et au Kenya, comme dans d'autres pays d’Afrique, où le concept de travail à domicile est à l’état d’émergence, la plupart des travailleuse·eur·s se considérant plutôt comme des micro-entrepreneuse·eur·s ou des micro-productrice·eur·s, la cartographie de ces travailleuse·eur·s est d’emblée un défi monumental, sans parler de celle de leurs liens avec les chaînes d’approvisionnement. Par exemple, en Éthiopie, la plupart des travailleuse·eur·s à domicile micro-entrepreneurs, dont la majorité est constituée de femmes engagées dans la production d’épices et d’aliments à domicile ou dans des hangars loués, considèrent leur travail comme une activité complémentaire de leurs tâches domestiques, grâce à laquelle elles peuvent gagner un peu d’argent pour subvenir aux besoins de leur famille ou suppléer au revenu familial.

Un tel constat ne signifie pas pour autant que les groupes ne sont pas organisés. Ils le sont souvent, sous forme de groupes d’entraide, d’organisations communautaires et de coopératives d’épargne et de crédit, l’objectif principal étant de faciliter l’épargne commune et le prêt interne, et non la promotion de leur travail, puisqu’ils considèrent le gouvernement comme un partenaire-liaison pour réaliser leurs objectifs économiques plutôt que comme un allié dans une lutte pour se faire reconnaître et revendiquer les droits des travailleuse·eur·s.

Et qu’en est-il des travailleuse·eur·s à domicile les plus vulnérables étant au niveau d’entrée des chaînes d’approvisionnement locales et mondiales et dépendant d’intermédiaires de plusieurs niveaux ? La cartographie, en termes de suivi, s’est révélée encore plus difficile. En fait, il ne semble pas y avoir de terminologie locale qui traduise adéquatement leur travail. Cela dit, à mesure qu’ils se développent, à savoir les réseaux nationaux, régionaux et mondiaux, les groupes de travailleuse·eur·s à domicile locaux se sensibilisent toujours plus et se construisent une identité de travailleuse·eur.

De surcroît, les chercheuse·eur·s ont constaté que les travailleuse·eur·s à domicile, individuel·le·s et groupes d’entraide restreints, étaient particulièrement difficiles d’accès par des méthodes de recherche formelles. Elles·Ils s’en sont plutôt mieux sorties par des réseaux informels. Pour commencer, il n’existe que peu de données sur ces groupes et, au contact de chercheuse·eur·s qui ne leur sont pas familiers, les travailleuse·eur·s à domicile se montrent peu enclin·e·s à partager des informations de peur de compromettre leurs moyens de subsistance.

Qui plus est, cette réticence tient au fait que certains acteurs ou concepteurs de l’informel, ayant établi des relations économiques avec des client·e·s à grande échelle, misent sur les travailleuse·eur·s à domicile qui, situé·e·s plus bas dans la chaîne, dépendent de ces intermédiaires pour bénéficier du travail. En clair, la réticence à révéler cette relation, de peur de la perdre, occultant efficacement ce qui est en fait une relation d’emploi, signifie qu’il n’y a ni protection sociale ni respect des droits fondamentaux des travailleuse·eur·s. Dans le contexte de la crise actuelle due à la COVID-19, cette réalité cachée a frappé de plein fouet les travailleuse·eur·s à domicile puisque, dès que leur travail a disparu, aucun filet social n’est venu les protéger.

Résultats de la recherche

En Éthiopie, l’étude a révélé que les réseaux de travailleuse·eur·s existants ont été créés principalement pour favoriser l’épargne, les prêts internes et la sécurité des revenus –en travaillant ensemble à l’exécution de grosses commandes– plutôt qu’aux fins de plaidoyer en faveur des salaires ou des soins de santé. Et ce, bien que les travailleuse·eur·s du vêtement et du textile y soient payé·e·s environ 26 dollars par mois, soit le salaire le plus bas au monde dans ce secteur. S’agissant des travailleuse·eur·s à domicile en sous-traitance (travailleuse·eur·s externes), elles·ils occupent probablement des rangs proches du bas de l’échelle des salaires des travailleuse·eur·s d’usine. Collectivement, les travailleuse·eur·s ont fait le constat, celle d’une régression des conditions de santé due à la nature de leurs processus de production, mais sans se mobiliser pour autant autour de ces questions et enjeux.

Dans un autre esprit, il se crée à présent un syndicat et une société à responsabilité limitée, respectivement, grâce aux efforts d’un certain nombre de travailleuse·eur·s exerçant leur activité dans des locaux (appelés « hangars » dans le pays), aménagés par le gouvernement pour les nouvelles micro-et-petites entreprises et un groupe de tisserand·e·s traditionnel·le·s d’Addis-Abeba. Leur objectif est de s’attaquer collectivement aux problèmes du marché et d’intrants. L’entreprise se compose généralement de femmes, qui s’occupent de la production à domicile, au village, et d’hommes chargés de l’achat des matières premières et de la vente des produits finis en ville. Tous les membres partagent le coût des matières premières et le loyer nominal des hangars.

Au Kenya, les chercheuse·eur·s de WIEGO qui ont, dans un premier temps, constaté que le concept de travail à domicile était inconnu (les travailleuse·eur·s à domicile se voyant comme des productrice·eur·s à l’extrémité inférieure de la chaîne de valeur) et qui n’ont trouvé aucune organisation (WFTO et KEFAT, 2013), en sont venu·e·s, grâce à la Fédération kenyane pour le commerce alternatif (KEFAT), à découvrir que certains groupes d’entraide, associations et coopératives étaient en fait des organisations de travailleuse·eur·s à domicile. Des 74 travailleuse·eur·s à domicile de Nairobi et de Nakuru qui ont été interrogé·e·s dans le cadre de cette étude, plus de la moitié n’étaient membres d’aucun groupe et celles·ceux qui l’étaient bel et bien appartenaient à une organisation communautaire, à un groupe d’entraide (bien-être) ou à un club d’investissement. Si leur adhésion tenait à diverses raisons, l’autonomisation financière et l’emploi de trouvaient au premier rang.

Cela montre que les travailleuse·eur·s du Kenya et de l’Éthiopie se préoccupent avant tout, pour le moment, de leur situation économique, de l’amélioration de celle-ci, mais que certains groupes commencent à voir les avantages que donne une voix unie, collective, en s’adressant aux autorités locales pour demander l’accès à des espaces commerciaux ou la mise en place dans la communauté des services de base devant faciliter leur travail à domicile. Dans la même veine, pour ces groupes émergents, il est important de favoriser le réseautage transrégionaux et mondiaux afin qu’elles·ils puissent, par des échanges d’expériences, en apprendre plus aux côtés des autres qui ont fait des progrès significatifs en s’organisant.

Bien que les groupes de travailleuse·eur·s à domicile soient encore peu nombreux, les ministères du commerce, de l’industrie et de la culture (chargés de préserver et de promouvoir les compétences traditionnelles, telles que le tissage en Éthiopie et l’artisanat à base de matériaux autochtones en Ouganda) devraient intervenir pour protéger les travailleuse·eur·s à domicile, en particulier la composante non organisée et donc la plus exposée à l’exploitation.
Pour les travailleuse·eur·s à domicile, les principaux défis demeurent le fardeau que représentent les coûts de production et l’accès direct aux marchés à des conditions équitables, cette nécessité devant servir de déclencheur, puisque plus les travailleuse·eur·s à domicile en Afrique sont nombreuses·eux à réaliser qu’elles·ils sont aussi des travailleuse·eur·s, plus elles·ils seront en mesure de s’organiser pour se faire reconnaître, faire valoir leurs droits et bénéficier d’une protection sociale.

 

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