Un nouveau projet qui explore comment les récupérateurs et récupératrices de matériaux peuvent aider à résoudre la crise des déchets plastiques dans les océans

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WIEGO Blog

Un entretien (Q&R) avec Taylor Cass Talbott

Il est difficile de passer à côté des images choquantes de tas de plastiques flottant au milieu des océans du monde fessant vedette dans les médias. Les photos et les reportages ont sonné l'alarme auprès des citoyens et des décideurs. La question des déchets plastiques dans les océans est l’une des crises les plus significatives de notre époque. Nous pensons que les récupérateurs et récupératrices de matériaux peuvent jouer un rôle important dans la résolution du problème.

Les récupérateurs de matériaux sont des recycleurs du secteur informel qui tirent leur subsistance de la collecte, du tri et du recyclage des déchets dans les villes riches et pauvres, mais jouent un rôle particulièrement important dans les pays du Sud, où la gestion des déchets municipaux est souvent insuffisante pour répondre aux besoins urbains. Dans les villes côtières, les récupérateurs de matériaux jouent non seulement un rôle pour garder les villes propres, mais aussi dans la réduction de la quantité de plastique qui se dirige vers l'océan.

Dans les villes côtières, les récupérateurs de matériaux jouent non seulement un rôle pour garder les villes propres, mais aussi dans la réduction de la quantité de plastique qui se dirige vers l'océan.

Grâce à la nouvelle initiative de WIEGO, Réduire les déchets dans les villes côtières (ReWCC), avec le soutien de l'Agence suédoise de coopération pour le développement international (ASDI), nous travaillons avec des organisations de récupérateurs et récupératrices dans certaines villes côtières afin de sensibiliser davantage au rôle qu´ils et elles jouent (et peuvent jouer encore) dans la réduction des déchets plastiques des océans et, ce qui est aussi important, pour renforcer leurs organisations afin d’être plus efficaces dans ce processus.

Le plastique dans notre monde n’est cependant pas un sujet simple, les déchets du monde entier étant exportés des pays riches vers les pays pauvres, avec la production de plastiques augmentant sans entrave et l’industrie intervenant dans les tentatives de réponses politiques. Nous abordons certaines de ces questions avec Taylor Cass Talbott, la coordinatrice du nouveau projet WIEGO « Réduire les déchets dans les villes côtières », et nous parlerons davantage sur l’initiative ReWCC et sur les défis et le potentiel de la participation des récupérateurs et récupératrices de matériaux pour la résolution de cette crise mondiale.

En savoir plus sur le travail de WIEGO avec les récupérateurs de matériaux autour du monde.

La décharge de MbeubeussUn récupérateur de matériaux dans la décharge de Mbeubeuss, à l'extérieur de Dakar, au Sénégal, collecte et trie les déchets de la ville afin de réduire la quantité de plastique se dirigeant vers l'océan Atlantique. Photo : Jenna Harvey

Quels sont les objectifs de cette nouvelle initiative ReWCC ?

Le projet ReWCC met en évidence et accroît la contribution des récupérateurs de matériaux à la réduction des plastiques dans les océans du monde entier. Pour cela, nous soutenons des organisations de récupérateurs et récupératrices de matériaux dans plusieurs villes côtières – Accra, Ghana ; Buenos Aires, Argentine ; et Dakar, Sénégal – pour mieux faire entendre leurs voix et augmenter leur capacité de récupération des déchets. En renforçant leurs organisations, notre objectif est de les aider à s’intégrer dans des systèmes plus formalisés de gestion des déchets solides municipaux.

Quel rôle jouent les récupérateurs et récupératrices de matériaux dans la lutte contre les plastiques dans les océans ?

Le secteur informel des déchets est responsable du recyclage et de la réutilisation de grandes quantités de matériaux dans le monde, les détournant des cours d’eau et des décharges, d´où les matériaux et leurs toxines finissent aux océans.

Les récupérateurs et récupératrices de matériaux représentent souvent la seule forme de gestion des déchets d'une ville. Mais il est également important de comprendre que certains récupérateurs se retrouvent avec des résidus non recyclables qu’il faut éliminer. Sans les ressources financières ou infrastructurelles nécessaires pour éliminer les matériaux de manière responsable, ces déchets peuvent finir dans l'environnement.

Le projet de réduction des déchets dans les villes côtières (RWCC) met en évidence et accroît la contribution des récupérateurs de matériaux à la réduction des plastiques dans les océans du monde entier.

Nous savons que la capacité de ces travailleurs et travailleuses de récupérer les matériaux et d'éliminer de manière responsable les résidus non recyclables est accrue lorsque elles sont intégrées à des systèmes plus formels de gestion des déchets solides. La formalisation pour ces personnes peut ressembler à des contrats municipaux pour la collecte et le recyclage des ménages ; la mise à disposition d'infrastructures de collecte, de tri et de stockage ; un appui au renforcement des capacités ; et des protections sociales, telles que les soins de santé et les services de garde d´enfants.

En outre, lorsque les récupérateurs et récupératrices de matériaux sont organisées, elles peuvent plus facilement être engagées pour fournir les types de services spécialisés nécessaires à la lutte contre l’accumulation des plastiques dans les océans, tels que la sensibilisation et l'éducation du grand public, ainsi que les services de collecte dans les zones difficiles à atteindre qui ne peuvent se permettre les services de gestion des déchets.

Regardez une vidéo sur les avantages que procurent les récupérateurs et récupératrices de matériaux aux villes dans lesquelles elles travaillent.

D´après vous, quels sont certains des défis pour les récupérateurs de matériaux face à cette crise environnementale ?

La crise des plastiques dans les océans oblige les gouvernements, les agences d'aide et les entreprises à investir massivement dans la formalisation des systèmes de gestion des déchets, ce qui provoque des perturbations rapides et majeures dans le secteur. C’est une bonne chose – car nous avons besoin de perturbations pour améliorer ces systèmes. Mais nous avons besoin de perturbations qui soutiennent la justice économique en intégrant et en protégeant les travailleurs et travailleuses vulnérables.

La voie de la formalisation pour les récupérateurs de matériaux peut se réaliser à travers des contrats municipaux pour la collecte et le recyclage des ménages ; la mise à disposition d'infrastructures de collecte, de tri et de stockage ; un appui au renforcement des capacités ; et des protections sociales, telles que les soins de santé et les services de garde d´enfants.

La crise des plastiques dans les océans suscite également un nombre record de politiques de réglementation des plastiques dans le monde. Sans la participation appropriée des récupérateurs et récupératrices, ces politiques peuvent constituer un moyen rusé pour les acteurs les plus puissants de remplacer les travailleurs vulnérables et de conquérir les marchés du traitement des déchets.

Très souvent, la stratégie consiste à remplacer le secteur informel par de grandes entreprises privées et des technologies généralement plus coûteuses, pires pour l'environnement, employant moins de personnes et consolidant la richesse plutôt que de la distribuer à davantage de personnes.

Comment voyez-vous les récupérateurs et récupératrices de matériaux jouer un rôle plus important dans la solution à cette crise mondiale ?

Je vois leurs organisations jouer un rôle important en révélant comment les réponses conventionnelles aux problèmes environnementaux, tels que les déchets, créent en réalité des systèmes économiques plus exclusifs et inégaux. En essayant de résoudre un problème, nous en créons un autre. Si les gens peuvent comprendre cette réalité, ils comprendront aussi, espérons-le, que nous avons besoin d'une réforme majeure de la gestion des déchets dans le monde et que les nouveaux systèmes doivent être inclusifs.

Que fait le projet ReWCC pour améliorer le rôle que peuvent jouer les récupérateurs et récupératrices de matériaux ?

En plus de renforcer les organisations par la formation et la facilitation des échanges mondiaux – afin qu'elles puissent connaitre d'autres modèles –, nous travaillons avec des groupes de récupérateurs de matériaux pour étudier et contribuer au contexte des politiques mondiales et régionales en matière de plastiques afin que leur inclusion puisse être soutenue institutionnellement.

Il y a tellement de nouvelles technologies à l'essai pour résoudre le problème des déchets plastiques dans les océans. Pourquoi les décideurs devraient-ils se tourner vers les récupérateurs de matériaux alors qu’il existe ces alternatives potentiellement miraculeuses ?

De nombreuses nouvelles technologies font leur apparition, notamment des bateaux énormes qui aspirent le plastique océanique avec tout ce qui vit dans le plastique. Ces technologies sont controversées par les scientifiques et les environnementalistes et ne parviennent pas non plus à résoudre le problème à la racine. Nous avons un besoin urgent d'améliorer la collecte et la gestion des déchets dans le monde entier, et les récupératrices et récupérateurs de matériaux sont les mieux placés pour le faire, s'ils sont correctement acceptés et soutenus.

Nous avons un besoin urgent d'améliorer la collecte et la gestion des déchets dans le monde entier, et les récupératrices et récupérateurs de matériaux sont les mieux placés pour le faire, s'ils sont correctement acceptés et soutenus.

Nous devons également réduire, voire mieux, éliminer la production de plastiques à usage unique. Cela peut sembler contre-intuitif dans le contexte des récupérateurs, qui comptent sur les matériaux pour le recyclage, mais la plupart des plastiques à usage unique ne sont pas recyclables. Et une grande partie du plastique recyclable a tellement peu de valeur que de nombreux pays sont maintenant dans une course mondiale pour expédier ces matériaux à l’étranger et les traiter dans des endroits où la main-d’œuvre soit la moins chère et où la surveillance environnementale soit plus laxiste.

Le commerce mondial des déchets inonde les marchés de ces matériaux, ce qui réduit leur valeur dans les pays d'accueil et nuit aux récupérateurs. Et, bien sûr, les personnes pauvres souffrent de manière disproportionnée de la pollution de l'environnement qui en résulte.

Les décideurs devraient écouter les travailleurs les plus vulnérables de ces systèmes, qui peuvent les orienter vers des solutions justes sur les plans environnemental et économique.

Les entreprises de collecte des déchets travaillent à intégrer leur expertise en matière de recyclage dans les systèmes officiels de la ville.Accra, au Ghana, est située sur la côte atlantique et subit de graves inondations dues à une mauvaise gestion des déchets solides. Les entreprises de collecte des déchets travaillent à intégrer leur expertise en matière de recyclage dans les systèmes officiels de la ville et à ajouter leurs idées au projet de politiques du pays sur les plastiques. Photo : Martha Chen

Où se déroule actuellement le projet ReWCC et quelles sont les stratégies qui y sont utilisées ?

À Buenos Aires, en Argentine, la Fédération argentine des récupérateurs de matériaux et des recycleurs (Federación Argentina de Cartoneros, Carreros y Recicladores) est une organisation modèle de récupération de déchets qui a intégré 6 000 travailleurs et travailleuses dans la collecte et le traitement formels des déchets recyclables.

Le projet ReWCC les aide à transformer les pratiques de recyclage de 1 000 personnes, qui actuellement collectent les matériaux et les trient chez eux, créant ainsi des microsites d'enfouissement dans leurs quartiers qui se déversent dans l'environnement ! Pour éliminer ces pratiques, le projet intégrera ces travailleurs dans un système de tri et de stockage des matériaux dans une usine de traitement, dans lequel les résidus non recyclables sont gérés de manière appropriée.

Les décideurs devraient écouter les travailleurs et travailleuses les plus vulnérables de ces systèmes, qui peuvent les orienter vers des solutions justes sur les plans environnemental et économique.

La Fédération a déjà un pouvoir politique considérable en Argentine et, pour encourager davantage la gestion responsable des matières plastiques, elle a élaboré un projet de loi sur la responsabilité élargie des producteurs pour financer la récupération des emballages en plastique. Elle a également organisé des nettoyages réguliers des plages et des activités de sensibilisation à la réduction des matières plastiques le long du littoral du pays, parfois en partenariat avec des organisations telles que Greenpeace.

À Dakar, au Sénégal, les 1 590 membres de l’association de récupérateurs et récupératrices de matériaux Bokk Diom de la décharge de Mbeubeuss, située près de l’océan, recyclent déjà et réutilisent une grande partie des déchets de la ville. Ils éliminent les types de matériaux de la décharge qui empoisonnent les eaux souterraines et les habitats marins.

Tandis qu’ils renforcent leurs capacités, en particulier les récupératrices, ils élaborent un projet pilote de séparation des déchets ménagers afin d’aider les récupérateurs, les autorités, la municipalité et les écoles locales à proposer un système leur intégrant formellement. Le projet pilote cible les communautés situées près de la côte et le long des cours d’eau.

Ils renforcent également leur capacité à plaider en faveur d'installations de tri et de recyclage appropriées, ce qui leur permettrait de récupérer plus de matière et de la traiter de manière plus saine. Et, fait intéressant, ils expérimentent également un partenariat avec les pêcheurs locaux pour mettre en place un système de collecte et de recyclage du matériel de pêche cassé, tel que des filets en plastique.

En particulier chez les femmes, [les récupérateurs de matériaux de Dakar] élaborent un projet pilote de séparation des déchets ménagers afin d’aider les récupérateurs de matériaux ; les autorités, la municipalité et les écoles locales proposent un système intégrant formellement les récupérateurs de matériaux.

Accra, au Ghana, est une ville aux inondations récurrentes, aggravées par une mauvaise gestion des déchets solides, en particulier des déchets plastiques. En conséquence, une quantité importante de déchets plastiques pénètre dans l'océan, ce qui a de graves conséquences pour la vie marine, l'environnement et la santé publique. En conséquence, le gouvernement du Ghana et les autres parties prenantes mettent en œuvre diverses stratégies et politiques pour relever les défis de la mauvaise gestion des déchets.

WIEGO aide les récupérateurs et récupératrices de l´informel à renforcer leurs organisations et à augmenter les taux de collecte de plastiques dans les communautés et les sites d'enfouissement. Nous avons également travaillé avec les récupérateurs de matériaux pour formuler des recommandations sur le projet normatif politique du pays relatif aux plastiques. Très souvent, ces types de politiques finissent par nuire aux récupérateurs en institutionnalisant des systèmes profitant aux grandes entreprises et en excluant les récupérateurs, et en réduisant les taux de recyclage. Mais jusqu'à présent, les décideurs semblent être à l’écoute.

Cette année, nous nous étendrons également à certaines villes côtières indiennes dépourvues de systèmes formels de gestion des déchets. Les groupes de récupérateurs de matériaux là-bas s’emploieront à mettre en place une collecte de déchets à domicile, en commençant par les communautés situées le long de la côte et à proximité des cours d’eau.

En savoir plus sur les récupérateurs de matériaux au Sénégal et regarder une vidéo sur un récupérateur d'Afrique du Sud.

Comment allez-vous mesurer le succès au cours des deux prochaines années ?

Nous cherchons à savoir si les organisations elles-mêmes se renforcent et sont capables d'aider à s'établir et à s'intégrer plus efficacement dans les systèmes formels de gestion des déchets.

Nous vérifions si les nouvelles politiques soutiennent les récupérateurs de déchets à la suite du plaidoyer lancé dans le cadre du projet. Nous sommes même en train de développer une méthodologie pour calculer les réductions d'émissions de gaz à effet de serre de la collecte informelle des déchets, car ces données aident les groupes de récupérateurs de matériaux à justifier leur inclusion auprès des décideurs.

Enfin, nous suivons les discussions sur les plastiques des océans dans nos pays cibles et à l’étranger, car les groupes de récupérateurs et récupératrices sont en grande partie absents de ces discussions et il est important que les bailleurs de fonds et les décideurs ne les considèrent pas comme un problème mais comme une solution.

Découvrez le nouveau projet de WIEGO de réduction des déchets dans les villes côtières grâce à un projet de recyclage inclusif.

Photo vedette : Plastiques échoués sur la plage. Photo : Bo Eide/sous license de Creative Commons

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